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inspirées par les événemens de l’Italie de 1302 à 1321, le poète exilé laisse éclater des cris de douleur et des imprécations. Comment admettre qu’en exposant cette grande théorie politique, en défendant les droits de l’empire contre les usurpations du saint-siège, il n’eût fait aucune allusion à son rôle personnel dans de tels débats ?

M. Witte ajoute ici maintes preuves de détail qui devront dissiper tous les doutes ; pour moi, j’avoue que ce seul argument me suffit, et que la démonstration est péremptoire à mes yeux. Si le De Monarchia eût été composé par Dante après son bannissement de Florence, on y lirait à chaque ligne les colères qui soulevaient son cœur. N’oubliez pas qu’il se met en scène dans tout ce qu’il écrit, qu’il est tout entier dans chacune de ses pages, et un tel homme, du fond de son exil, a pu écrire un long manifeste sur le droit de l’empire sans que le ressentiment du proscrit y éclate ! Quelle occasion cependant pour jeter aux Florentins ces foudroyantes apostrophes dont il avait le secret ! Non ; il est calme, il expose, il enseigne ; c’est Dante avant son exil, avant son priorat, à l’époque de ses méditations studieuses. Entre deux ambassades peut-être, frappé des misères de l’Italie et du triste état de la chrétienté tout entière, il cherche le remède au mal. Son âme ardente et tendre était revenue déjà à l’idéal religieux du catholicisme ; sa pensée politique suit la même route, il s’attache à cette grande unité qu’avaient rêvée les âges précédens et dont le monde s’éloignait chaque jour. Il croit au pape et à l’empereur ; il croit au droit religieux de l’un, au droit temporel de l’autre, et les considérant tous deux comme les ministres immédiats du roi des rois, il veut que leurs domaines demeurent toujours distincts et inviolables. Si le pape envahit le domaine de l’empereur, si l’empereur usurpe le droit du pape, tous deux ont mérité l’enfer, où les plongera la justice du poète. On s’étonnera un jour de voir guelfes et gibelins précipités pêle-mêle dans les cercles horribles : cette impartialité était facile à l’homme qui dès le début s’était placé si haut.

Ne parlez donc plus de rancunes, de passions capricieuses ; Dante a construit sa théorie dans le silence de l’étude. Cette conception idéale de la politique s’affermit plus tard chez le poète, elle prend des proportions immenses, lumineuses, et se transforme en une philosophie de l’histoire au nom de laquelle la Divine Comédie prononcera ses redoutables jugemens, mais elle existe déjà dans la pensée du poète avant qu’il prenne part au gouvernement de la république. Le De Monarchia est écrit avant l’année 1300. Aussi voyez-le à l’œuvre lorsqu’il est nommé prieur et que le 15 juin 1300 il prend possession du pouvoir. Supérieur à tous les partis, il soulèvera bien des haines. Les noirs ont insulté les blancs dans les rues de la ville ; Dante bannit le chef des noirs, celui que tous les chroniqueurs contemporains