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Galilée, à voir aussi le respect de Michel-Ange et de Machiavel pour il padre Alighieri, comment méconnaître ce qu’ils lui doivent au milieu de leurs travaux et de leurs luttes ? Tous les trois, par la passion qui les possède et par la consécration de la douleur, ce sont les vivans commentaires du grand gibelin.

Malheureusement l’esprit académique, dès le XVIe siècle, s’est substitué à cette mâle étude du maître. L’heure est venue où Dante ne sera plus qu’une matière à dissertation. Que le cardinal Bembo trace un élégant parallèle entre Dante et Pétrarque, rien de mieux ; mais la question urgente, à ce qu’il paraît, c’est de savoir si Dante est supérieur à Homère, si Homère est supérieur à Dante, et là-dessus voici des in-folio à remplir toute une bibliothèque. Mazzoni et Bulgarini sont aux prises ; ils plaident devant le tribunal d’un Aristote apocryphe, comme Petit-Jean et l’Intimé devant Perrin Dandin. Mazzoni défend l’œuvre du poète, Bulgarini démontre victorieusement qu’elle pèche contre toutes les règles d’Aristote, et le public des académies applaudit à la sentence. Qui oserait dire, en plein XVIe siècle, qu’Aristote n’a pas d’autorité céans ? Déclamation, pédantisme, puérilité, même chose sous trois noms divers. Les commentateurs du XVIIe siècle ne s’attachent plus qu’aux menus détails de la Divine Comédie et ne paraissent pas soupçonner la grandeur de l’ensemble. C’est la dévotion machinale qui succède à la piété vraie. Peu à peu cependant, accaparé par les académies, le citoyen de Florence est perdu pour le peuple. Guichardin raconte que, désirant lire le poème d’Alighieri, il dut chercher longtemps dans la Romagne avant d’en trouver un exemplaire. C’est presque la même chose après la fastidieuse littérature du XVIIe siècle ; vainement quelques esprits supérieurs, Gravina ; Vico, Varano, ont-ils assigné au poète de la Divine Comédie la place souveraine qui lui est due, l’Italie ne le connaît guère que de nom, et elle semble d’abord plus surprise qu’émue lorsque trois jésuites, le père Venturi, le père Zaccaria et le père Bettinelli, dans la première période du XVIIIe siècle, dressent contre la Divine Comédie tout un acte d’accusation théologique et littéraire. Venturi signale les hérésies de Dante (1732) ; Bettinelli et Zaccaria, avec un ton de persiflage qui enchantait Voltaire, lui refusent tout talent poétique. Heureux incident qui réveille le patriotisme ! les plus belles éditions de Dante sont publiées après le commentaire de Venturi ; il suffit de rappeler l’édition de Zatta (Venise, 1757) dédiée à la tsarine Elisabeth. Excités par ces attaques, Muratori et le docte abbé Méhus, qui s’appliquent à éclairer les premiers siècles de la littérature italienne, semblent redoubler d’ardeur ; Muratori publie quelques-uns des principaux commentaires de la Divine Comédie, Méhus publie les œuvres inédites de Léonard d’Arezzo et de Giannozzo Manetti,