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maintes questions de détail[1]. Quant à l’interprétation du poème, ce n’est guère autre chose qu’un amas de subtilités pédantesques. On peut répéter hardiment la phrase dédaigneuse de Tiraboschi, applicable aussi, il faut bien le dire, à plus d’un commentaire de Dante au XIXe siècle : E chi sa quanti pensieri hanno essi attribuiti à Dante, che a lui non erano mai passati pel capo[2] !

Avec la seconde moitié du XVe siècle, une période nouvelle commence pour les interprètes de la Divine Comédie. Dans cet essor d’inspirations platoniques qui signala vers cette époque la vie littéraire de Florence, l’œuvre de Dante offrait une riche matière à la pensée. Deux hommes surtout, représentent cette direction plus haute, j’ai nommé Cristoforo Landino et Alessandro Vellutello. Dante était si supérieur au moyen âge, que le moyen âge ne l’avait pas compris ; ce fut la renaissance, inspirée par Platon, qui la première souleva un coin du voile et pénétra dans la grande âme d’Alighieri. On a étudié Dante de nos jours avec bien autrement de vigueur et de précision ; pour certaines parties de l’interprétation philosophique et religieuse, Landino sera toujours consulté avec fruit. Tout récemment encore, un des hommes qui admirent le mieux la Divine Comédie et la Vie nouvelle, l’historien Schlosser proclamait les sentimens d’édification religieuse qu’a entretenus chez lui la lecture de Cristoforo Landino[3]. Il associe à cette louange le commentaire d’Alessandro Vellutello, qui appartient au commencement du XVIe siècle et qu’anime le même platonisme chrétien dégagé des subtilités scolastiques. Pour qui connaît la sévérité grondeuse de M. Schlosser, un tel hommage est un événement dont l’histoire littéraire doit conserver le souvenir ; en lisant ces confidences du vieil historien libéral, j’ai mieux apprécié le caractère de cette seconde période des commentateurs dantesques. Cette période est aussi celle de Machiavel, de Michel-Ange et de Galilée, Machiavel n’a fait sur Dante que des remarques de philologie ; Michel-Ange, qui le connaissait si bien, s’est borné à lui adresser des sonnets enthousiastes ; Galilée, âgé de vingt-quatre ans, lisait deux dissertations devant l’académie de Pise pour défendre contre Girolamo Benivieni la cosmographie de la Divina Commedia[4]. Ces détails-là n’ont qu’un intérêt de curiosité ; mais, à voir la pieuse tendresse du jeune

  1. C’est sur ces naïfs commentateurs que s’appuient les premiers biographes de Dante, Giannozzo Manetti, Mario Filelfo et surtout Leonardo Bruni d’Arezzo, le grand philologue, qui mérita d’être enterré dans l’église Santa-Croce entre Dante et Galilée.
  2. Voyez Tiraboschi, Storia della Letteratura italiana, lib. III, c. 2, § XI.
  3. Dante Studien, von F.-Chr. Schlosser, 1 vol., Leipzig et Heidelberg 1855.
  4. Un écrivain italien vient d’appeler l’attention sur cet épisode de l’histoire littéraire. Voyez Studi sulla Divina Commedia di Galileo Galilei, Vincenso Borghini ed altri ; publicati per cura ed opéra di Ottavio Gigli, 1 vol., Florence 1855.