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pays, il sera seul encore parmi ses compagnons d’exil. Les hommes qu’on a chassés de Florence avec lui sont aussi méprisables que ceux qui l’ont chassé. Sa prédication est trop haute, son idéal est trop pur ; pour la cité qu’il imagine, il n’y a plus de place sur cette terre. Alors, errant de ville en ville, mendiant sa vie morceau à morceau, comme il y a dit énergiquement de l’un des personnages de son œuvre, mendicando sua vita a frusto a frusto, il se réfugie dans la cité que lui construira la poésie. Toutes les études, tous les rêves qui ont agité son esprit, vont prendre un corps et une âme dans une œuvre étrange, compliquée, mystérieuse, qu’il publiera simplement sous le titre de Commedia, et que la chrétienté, ravie d’enthousiasme, appellera bientôt la Divine Comédie.

Ce n’est pas seulement à travers son siècle que Dante a passé solitaire et superbe ; malgré le cri d’admiration qui a salué en Europe la première apparition de son poème, on peut dire que la même destinée l’attendait au-delà du tombeau. Florence n’avait pas compris l’idéal de l’amant de Béatrice ; la postérité, pendant des siècles, a fait comme les contemporains de Dante ; ceux-là même qui l’admiraient le plus ne l’entendaient qu’à demi. Que de commentaires sur la Divine Comédie depuis le XIVe siècle ! Il y a vingt ans, la pensée générale du poème pouvait être considérée comme une énigme ; aujourd’hui, malgré des travaux de premier ordre, elle est encore un sujet de controverse.

Ce serait une curieuse histoire que celle des commentateurs de Dante ; on saisirait sans peine dans leurs explications l’esprit parti culier de chaque époque. Le XIVe siècle et le commencement du XVe produisent des gloses naïves où la biographie, la linguistique et la capricieuse recherche des allégories s’entremêlent au hasard. Au premier rang sont les commentateurs contemporains, les deux fils de Dante, Pietro et Jacopo[1], l’écrivain anonyme à qui l’on doit l’Ottimo Comento[2], le franciscain Accorso de Bonfantini, le chanoine

  1. Le commentaire qui porte le nom de Pietro parait, lui être faussement attribué. L’abbé Dionisi, dans ses Aneddoti, a élevé de très fortes objections contre l’authenticité de ce texte. Il est certain toutefois que Pietro, comme son frère Jacopo, a expliqué l’œuvre de son père.
  2. De tous les commentaires primitifs, l’un des plus intéressans est l’Ottimo, qu’on appelle aussi Il buono, ou bien encore l’Anicko Comento. On ne sait quel en est l’auteur, mais il est certain qu’il avait connu Dante : Benvenuto d’Imola lui a fait de nombreux emprunts. L’Ottimo Comento a été publié pour la première fois en 1827 à Pise par les soins de M. Alessandro Torri. On peut consulter sur l’Ottimo Comento un article du North American Review (Boston, octobre 1899), une étude de M. Colomb de Batines dans les Studi inediti su Dante (Florence 1846), et surtout les intéressantes recherches de M. Charles Witte, Quando e da chi sia composto l’Ottimo Comento a Dante. Lettera al sign. Seymour Kirkup pittore inglese à Firenze, di Carlo Witte (Leipzig 1847).