Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/471

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I.


A MA MERE.


Je porte haut le front, je suis fier, orgueilleux,
Et devant les plus grands je montre de l’audace,
À ce point que le roi, me regardant en face,
Ne pourrait me contraindre à détourner les yeux.

Mais, je veux te le dire, un sentiment pieux
Domine ma superbe, ô mère, et me terrasse
En ta sainte présence; il ne reste plus trace
De ce ressort qui fait escalader les cieux.

Suis-je alors accablé, sans bien m’en rendre compte.
Par ton puissant esprit qui tout pénètre, et monte
Et se perd dans le sein du Dieu qui l’a formé?

Ou n’est-ce pas plutôt la triste souvenance
D’avoir blessé ton cœur en mainte circonstance,
Ton cœur inépuisable et qui m’a tant aimé?


II.


LA TRESSE BLONDE.


A l’heure amollissante où l’âme poétique
Remue en soupirant les cendres du passé,
Le soir, un souvenir vainement repoussé
Redouble autour de moi l’ombre mélancolique.

Je revois comme au fond d’un miroir fantastique
Ma maîtresse aux yeux bleus. Son beau sein oppressé
Soulève un corset rose étroitement lacé :
Elle est silencieuse; elle coud et s’applique.

Mais, se levant soudain, de ses longs cheveux d’or
Elle coupe une tresse, — admirable trésor, —
Me le donne et me dit : Que ce soit notre chaîne!

Mon bonheur m’effraya ! — Méphisto l’a troublé :
Il m’a mis cette tresse au cou, s’est attelé
À ce char de triomphe, et depuis il me traîne.


III.


NI HAINE NI AMOUR.


J’ai connu plus d’une inhumaine
Parmi les filles d’alentour;
J’ai beaucoup souffert de leur haine
Et plus encor de leur amour.