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caractère d’une principauté prussienne et d’un canton suisse ; ces deux caractères se confondent et se limitent alternativement. C’est là le droit ; mais en même temps est survenu un fait nouveau passé dans les habitudes, consacré par des votes publics, reconnu en quelque façon par tout le monde, c’est l’assimilation complète de la principauté à la confédération helvétique. Entre la suzeraineté de la Prusse tombée en désuétude et le fait nouveau doit intervenir une transaction à laquelle les deux pays se prêteront sans doute, et que les cabinets ne peuvent que favoriser. Si la Suisse se refusait à un accord, ou si la Prusse prétendait pousser jusqu’au bout la revendication d’un droit qu’on reconnaît plus volontiers en théorie qu’en fait, on ne peut se dissimuler que la question de Neuchâtel, sortant tout à coup de la demi-obscurité où elle est restée jusqu’ici, pourrait devenir un élément sérieux de complication dans la politique générale.

Les affaires d’Espagne n’ont qu’un rapport bien indirect avec les perplexités actuelles de l’Europe ; elles ne s’y rattachent que comme un épisode de cette histoire éternelle des révolutions, — histoire assez éloquente par elle-même, puisque dans cette voie des révolutions un pays peut finir par s’égarer et ne plus savoir exactement où il va. La Péninsule en est là pour l’instant, ce nous semble. Elle est arrivée à ce point où elle se sent obsédée des souvenirs maussades d’une révolution, où elle s’inquiète des menaces d’une réaction immodérée, et où elle éprouve une peine extrême à retrouver sa vraie roule, la route largement et franchement constitutionnelle. Il y a trois ans, un ministère présidé par le général Narvaez aurait eu sans doute un grand ascendant ; il eût été considéré comme une garantie pour la royauté et pour les opinions sagement libérales. Ce ministère a fini par venir au monde après deux années d’évolutions fort imprévues ; malheureusement la situation de la Péninsule reste pleine de mystères, l’existence même du cabinet est exposée à mille hasards. On ne peut se le dissimuler, le ministère espagnol a pour le moment à lutter contre toute sorte de difficultés qui tiennent principalement à l’incohérence des partis, au fractionnement des opinions et à ces jeux d’influences qui compliquent les situations au-delà des Pyrénées encore plus que partout ailleurs. Avec l’apparence de la force, c’est-à-dire avec le pouvoir extérieur de tout faire, le ministère est faible pourtant, parce qu’il manque de point d’appui.

Les partisans du dernier cabinet et du général O’Donnell, qui ne sont point sans avoir rendu quelques services, ne peuvent pardonner au général Narvaez le large système de révocation et d’exclusion qu’il pratique à leur égard, qu’il a pratiqué surtout à l’égard des chefs militaires dits vicalvaristes, dont pas un n’est resté debout ; un nouveau journal vient même de paraître à Madrid pour recommencer la guerre et harceler le gouvernement au nom de cette fraction, qui représente certaines influences militaires et un libéralisme mitigé. D’un autre côté, en abolissant à peu près tout ce qui s’est fait depuis deux ans, en rendant à la royauté et au clergé leurs prérogatives, en suspendant d’une façon absolue la loi de désamortissement, le ministère a pu satisfaire les hommes de la nuance conservatrice la plus prononcée ; il n’a ni leur concours actif ni leurs sympathies secrètes. M. Bravo Murillo s’est borné jusqu’ici à ne vouloir opposer aucun obstacle au gouvernement, sans faire cause