Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais il faut aller au cœur de ces affaires, en les dépouillant de ce qu’elles ont de local et d’oriental. Les difficultés actuelles, les inquiétudes qui traversent par moment les esprits, ne naissent point, on en conviendra aisément, de l’importance qu’il peut y avoir à donner quelques lieues de territoire contesté à la Russie ou à la Moldavie. Elles tiennent uniquement à ce fait, que la France, l’Angleterre et l’Autriche se sont trouvées en désaccord sur la manière d’entendre, d’assurer l’exécution d’un des articles du traité de paix, et que ces divergences de vues, en se prolongeant, risquent de dégénérer en antagonismes de politiques et de situations propres à affaiblir les alliances qui existent, à modifier par conséquent les conditions de la politique générale. Là est le nœud véritable de la question. Or, en observant ces situations et ces politiques, qui se sont dessinées sous des aspects divers depuis la paix, en consultant les intérêts, les convenances, de l’Autriche, de la France et de l’Angleterre, il est permis de se demander si, dans ces dissonances de conduite qu’on remarque, il y a les élémens d’une rupture possible, et si en définitive la difficulté qui a été le point de départ de cette crise vaut les embarras qu’elle cause. Est-ce l’Autriche, qui, pour faire prévaloir une interprétation particulière d’un traité collectif, peut pousser les choses jusqu’à un éclat dangereux ? Le cabinet de Vienne a sans nul doute des intérêts considérables sur le Danube ; il les défend avec une énergie patiente et souple. Tout ce qu’il pourra faire pour réaliser ses vues sur le Danube, il le fera ; mais l’Autriche a plus d’un intérêt, le vaste corps de l’empire allemand a aussi plus d’une plaie douloureuse, et l’Italie est de ce nombre. Si donc l’Autriche multiplie ses efforts et saisit toutes les occasions pour asseoir sa prépondérance sur le Bas-Danube, elle n’ira pas cependant jusqu’au point où elle serait entièrement séparée de la France, où elle se trouverait placée entre notre pays, dont elle n’aurait rien à attendre en Italie, et la Russie, dont elle aurait tout à redouter. C’est son intérêt qui la rattache à l’Occident et à la paix. D’ailleurs est-il bien certain que l’Autriche, par une rupture, ne servît pas les secrets désirs de la Russie, en offrant au Cabinet de Pétersbourg une occasion d’exercer des représailles et de chercher à regagner un ascendant militaire qui a été quelque peu diminué ? C’est ce qui doit faire douter que l’Autriche ait réellement l’intention de dépasser certaines limites dans sa politique en Orient, et s’il en est ainsi, on ne voit pas d’où peut venir la menace d’un conflit continental, la France et l’Autriche ayant d’ailleurs la même pensée et le même objet, qui est d’assurer l’exécution des conventions de paix. Il y a simplement cette différence, que l’Autriche s’est engagée dans une voie qui pourrait la conduire là où elle ne voudrait point aller, tandis que la France s’est placée dès l’abord sur le terrain diplomatique, où toutes les questions aujourd’hui pendantes doivent être résolues.

Reste l’alliance de la France et de l’Angleterre, dont les dernières crises diplomatiques sont l’épreuve. Est-ce néanmoins dans cet obscur défilé qu’ira échouer cette grande alliance ? Sans doute, depuis que la paix a été signée, on a pu noter dans la conduite des deux pays certaines discordances, des alternatives d’intimité ou de refroidissement, en un mot mille nuances, tenant à des considérations propres, à des circonstances passagères, quel-