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des choses qu’ils ignorent, ou s’ils méconnaissent les conseils de la prudence la plus vulgaire, qu’ils se résignent de bonne grâce au contrôle de l’opinion.

Les courtisans littéraires de M. de Lamartine, qui se comptent par centaines, ne l’entendent pas ainsi. Ils renoncent à soutenir qu’il connaît les choses dont il parle, mais ils trouvent de très mauvais goût qu’on se permette de relever ses méprises. Pour se dérober au reproche d’impiété, la critique devrait se taire et s’agenouiller. Si cette prétention était accueillie, les idées les plus fausses deviendraient bientôt la monnaie courante de la conversation. Pour témoigner son respect à M. de Lamartine, la génération nouvelle serait obligée d’accepter comme vraies-toutes les affirmations qu’il lui plaît de signer de son nom, c’est-à-dire que l’adulation et le mensonge prendraient le gouvernement de notre littérature. Il ne dépend pas de nous d’empêcher l’avènement d’un tel régime et d’assurer la domination de la franchise; mais il nous est du moins permis de protester. Le Cours familier de littérature, nous tenons à le dire, est un des livres les plus puérils qui aient paru depuis longtemps, un livre qui n’enseigne rien aux ignorans, et ne réveille aucun souvenir dans les esprits à demi éclairés. Est-ce un livre amusant? Les plus frivoles n’oseraient l’affirmer. Ce confus entassement de noms célèbres ne donne pas même aux désœuvrés une heure de distraction. Inutile à ceux qui veulent s’instruire, sonore et enfantin pour ceux qui savent, ce livre singulier à force de puérilité n’a pas de raison d’être. Si M. de Lamartine était entouré d’amis sincères, il renoncerait à le continuer. Il n’y a pas une page de son Cours familier qui n’amoindrisse sa renommée poétique. Tous les beaux vers qui ont ému notre jeunesse se confondent à notre insu avec ces périodes pompeuses, et la frivolité de l’historien rejaillit sur l’auteur des Méditations. Si la science n’est pas faite pour M. de Lamartine, qu’il ne touche pas à la science, c’est le parti le plus sage. S’il ne veut étudier ni l’histoire, ni la philosophie, qu’il ne compromette pas son nom dans ces causeries sans portée où s’escriment aujourd’hui trop d’esprits vulgaires; qu’il ne donne pas pour une série de leçons des souvenirs ramassés au hasard, qui sont la négation évidente de tout enseignement. Voilà ce que disent tout bas les amis dévoués qu’il n’a jamais rencontrés; voilà ce qu’il faut lui dire tout haut. C’est la meilleure manière de lui témoigner l’admiration qu’il a méritée par les œuvres de sa jeunesse et de sa virilité, qu’il s’applique à déconcerter par les œuvres de son âge mûr.


GUSTAVE PLANCHE.