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poétiques. Il serait donc intéressant de connaître la date de cette entrevue où la moiteur du génie joue un rôle si important. Malheureusement M. de Lamartine a négligé de nous dire en quelle année le duc de Rohan le conduisit chez Victor Hugo. Le visiteur est né onze ans avant l’exilé du ciel qui s’entretenait avec lui des misères de cette terre d’épreuves, il est donc probable qu’il a dû lui parler avec une autorité un peu plus que fraternelle; mais à cet égard le récit est muet, nous ne savons rien de cet entretien, sinon qu’ils appelaient le ciel leur patrie et la terre un lieu d’exil.

Que M. de Lamartine ignore l’histoire de l’Europe, je ne m’en étonne pas : les émotions de sa vie ne lui ont pas laissé le temps de l’étudier. Qu’il oublie les journées mêmes dont sa vie est faite, voilà ce qui sera pour moi un perpétuel sujet de surprise. Et ce qui m’étonne encore davantage, c’est que personne ne relève, en marge de ses épreuves, les méprises qu’il prodigue presque à chaque page. Victor Hugo n’est pas un homme des temps fabuleux; pourquoi faire de lui l’aîné de sa famille? Quand on voit le narrateur se fourvoyer à ce point en recueillant ses souvenirs personnels, quelle confiance peut-on accorder à ses récits historiques? La connaissance du passé exige des études laborieuses, la vie des nations ne se laisse pas deviner; mais ignorer sa propre vie, parler de ses contemporains, de ceux qu’on a coudoyés, comme si on ne les avait jamais rencontrés, voilà qui me confond. Il y a des écrivains qui n’inventent rien et qui croient inventer en transcrivant leurs souvenirs. M. de Lamartine invente à son insu. C’est une erreur que nous devons condamner même dans un cours familier de littérature. Une mémoire plus fidèle, une plus grande simplicité de langage seraient le meilleur moyen d’enchaîner l’attention du lecteur. Les erreurs que je relève, et que chacun aperçoit, éveillent une défiance trop légitime.

J’avais déjà lu dans les Confidences de M. de Lamartine une anecdote que j’aurais voulu ne pas retrouver dans le Cours familier de littérature. Nous avons tous admiré dans notre jeunesse l’ode adressée à M. de Bonald, et qui s’appelle le Génie. Nous prenions pour sincères les sentimens exprimés dans cette pièce lyrique. Nous apprenons aujourd’hui pour la seconde fois que l’auteur, en écrivant ces vers, dont le rhythme et la mélodie nous ont charmés, ne consultait pis ses souvenirs personnels, et se faisait l’écho des salons. Il ne connaissait pas une page de M. de Bonald; il avait entendu parler de la Législation primitive, et les éloges recueillis au passage lui suffisaient pour composer une ode. C’est peut-être un procédé usité parmi les poètes, je n’en sais rien : usité ou non, il n’est pas prudent de le révéler. Célébrer le génie sur ouï-dire, et le confesser, n’est pas le moyen le plus sûr d’établir l’autorité morale de la poésie. C’est là