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fées. Tout naturellement Raphaël interroge le vieux mendiant, qui connaît tous les gens du pays et les étrangers qui viennent promener leur ennui dans les montagnes de la Suisse et de la Savoie. Le mendiant ne sait pas le nom de l’intrépide navigateur, mais il peut du moins vanter sa bienfaisance et traiter sévèrement ceux qui parlent de sa méchanceté. Quoiqu’il écorche un peu le nom de lord Byron, Raphaël réussit pourtant à le deviner. Il n’a fait qu’entrevoir le poète anglais pendant quelques minutes, à la lueur des éclairs, mais cette rapide apparition a suffi pour graver son image dans la mémoire du voyageur. Que dites-vous de cet épisode ? Peut-on rêver une rencontre plus poétique entre l’auteur des Méditations et l’auteur du Corsaire? Quelle admirable réunion de circonstances imprévues! Puis vient l’éloge du visage entrevu tout à l’heure sur l’avant de la barque livrée à toute la fureur des vents, car j’omettais de dire que le gouvernail s’était brisé en même temps qu’une rame. À ce propos, M. de Lamartine cite un passage de Moore, qui sans doute est mal traduit, puisqu’il n’offre aucun sens, et un passage de Beyle, dont il écrit le nom, par méprise ou par étourderie, comme celui de l’auteur du Dictionnaire historique et critique. Après le panégyrique des yeux et de la bouche, nous avons le panégyrique du menton, qui paraît jouer un rôle immense dans l’harmonie souveraine de ce poétique visage. Mais la phrase la plus étonnante est celle qui s’applique à la beauté du front : le front de lord Byron était plus haut que large, et cette singularité s’explique d’autant plus facilement, qu’il rasait ses tempes et ramenait ses cheveux sur son front. L’explication, je l’avoue, n’explique pas grand’chose. Pour arriver à louer Byron en termes si étranges, ce n’était pas la peine de s’abriter sous un rocher, entre un mendiant et un berger, pendant une terrible tempête. La pompe de l’exorde ajoute encore à la puérilité de la narration.

Il y a dans les souvenirs de M. de Lamartine une confusion que nous avons peine à comprendre, qui étonne tous les témoins des choses qu’il raconte. Les événemens les plus récens, les rencontres de la veille prennent dans sa mémoire un caractère inattendu, qui peut convenir au roman, mais dont l’histoire littéraire ne s’accommode pas. En lisant les pages signées de son nom qu’il nous donne pour un cours de littérature, les hommes qui ont franchi les années de la jeunesse marchent de surprise en surprise, et se demandent à bon droit s’ils rêvent ou s’ils veillent. Sa première entrevue avec Victor Hugo semble écrite par un étranger qui n’aurait jamais connu l’auteur des Orientales, qui ne saurait rien de sa famille. On dirait, qu’il s’agit d’un épisode des temps héroïques, sur lesquels les historiens les mieux informés peuvent varier sans manquer à la bonne foi.