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nombre en est grand parmi nous, se méprendront sur le sens de cette indulgence. Ils croiront qu’on veut tout lui pardonner, comme à un enfant, et ce n’est pas là sans doute ce qu’on espère. Les amis du poète proscrivent la contradiction comme une impiété. Les sceptiques ne les prendront pas au mot, et se diront peut-être : « Nous avions tort en effet de juger les caprices d’un enfant comme des œuvres viriles. Il ne sait pas l’histoire, il ne l’a jamais étudiée, mais il lui plaît d’en parler. A quoi bon le troubler dans cette innocente fantaisie? Ses méprises ne peuvent égarer personne. Ceux qui veulent connaître le passé savent d’avance qu’ils ne doivent pas consulter ses livres. Il est donc parfaitement inutile d’en discuter la valeur. » J’ai lieu de penser que les admirateurs superstitieux de M. de Lamartine n’ont pas prévu les conséquences de leurs invectives. Ils accusent de méchanceté, de perfidie, d’ingratitude ceux qui se permettent de ne pas approuver toutes les pages signées de son nom. Ne feraient-ils pas mieux de ranger M. de Lamartine parmi les écrivains de race humaine et de lui indiquer les bévues qu’il commet, pour épargner aux sceptiques le triste soin de les signaler? En lisant les éloges qui lui sont prodigués, je me rappelle involontairement la fable de l’Ours et l’Amateur de Jardins. Ses panégyristes l’assomment en voulant le défendre. Dans ces hymnes ferventes, il n’y a pas une strophe qui ne soit un pavé : « Vous l’accusez d’ignorer, s’écrient-ils d’une voix irritée, pourquoi lui reprocher son ignorance? Admirez plutôt la magnificence de ses pensées. Ceux qui savent le passé n’auraient jamais trouvé ce qu’il trouve. » Ainsi leurs louanges mêmes sont un aveu. Ils le condamnent en croyant le glorifier. S’ils avaient relu La Fontaine, ils n’auraient jamais risqué ces paroles imprudentes.

M. de Lamartine nous avait promis un cours familier de littérature, et ceux qui croient à la puissance divinatrice des poètes attendaient ses leçons avec impatience. Il n’a pas à se plaindre du public, chacune de ses pages est accueillie par la foule avec une respectueuse déférence. Il raconte ses premiers succès de collège, et l’on applaudit. Il retrouve dans un vieux tiroir oublié ou bien il refait une description du printemps, et l’on bat des mains, on admire la précocité de son génie, on se demande comment un écolier de douze ans a pu choisir des images si bien assorties, disposer si habilement des paroles si harmonieuses: personne ne songe à discuter l’authenticité de cette trouvaille inattendue. Il plaît à M. de Lamartine de faire une excursion dans l’Inde, et chacun s’empresse de le suivre dans ce lointain voyage. Malheureusement, en commençant son cours familier de littérature, il n’avait aucun plan préconçu. Sous sa plume dévorante, l’épopée indienne s’est bientôt consumée, et nous voici,