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— Dame ! pourquoi monsieur de Villerglé n’est-il pas venu me voir au Buisson ? répondit-elle.

— Savais-je seulement que vous étiez au pays ?

— Voilà justement ce que je vous reproche ; il fallait vous en souvenir.

— Un petit mot est vite écrit !

— Une visite est bientôt faite !

— Si bien que si le hasard ne m’avait pas conduit de ce côté, jamais je n’aurais eu de vos nouvelles ?

— C’est votre faute ; pourquoi ne m’avez-vous pas reconnue l’autre jour à l’église ? J’avais une robe neuve, et j’ai toussé en passant près de vous.

— Oh ! je laisse une petite fille, et je retrouve une femme. Tout le monde tousse, et la robe n’est pas un signalement.

— Tiens ! c’est un écolier qui part, et c’est un millionnaire qui revient. Pouvais-je me jeter à votre tête ?

Louise avait réplique à tout. — Bon ! j’ai tort, répliqua M. de Villerglé ; me pardonnez-vous ?

— C’est déjà fait, dit Louise. Et maintenant que la paix est signée, parlons de nos affaires. Quelqu’un qui vous a vu autrefois à Paris m’a dit que vous aviez un bel uniforme. Vous n’êtes donc plus officier ?

Pierre raconta en quelques mots sa vie. Quant à l’histoire de Louise, elle n’était ni bien longue ni bien accidentée. Son père, professeur de rhétorique au collège de Caen, avait quitté l’enseignement depuis quelques années, et s’était retiré à Dives, où il vivait du produit d’une petite métairie et de quelques économies qu’il avait faites pendant sa laborieuse carrière. Il avait la goutte, et passait la meilleure partie de son temps à traduire de vieux auteurs latins qu’il avait traduits cent fois. Louise prenait soin de la maison, et faisait de la musique à ses momens perdus.

— Il me semble que vous ne jouez pas mal du piano, dit Pierre.

— Bah ! répliqua-t-elle, j’ai les doigts rouilles par l’aiguille et le dé.

Elle fit faire le tour de son petit domaine à M. de Villerglé. — Cet herbage est à nous, reprit-elle, ainsi que les trois vaches que vous y voyez. Là est un champ qui nous a donné beaucoup de pommes de terre. Nous avons encore un enclos et un bout de pré sur la colline… Faut-il que vous soyez ingrat ! comment n’avez-vous pas reconnu les gros pommiers qui vous ont donné tant de pommes ?

— Le Buisson a fait peau neuve, les murailles, qui étaient noires, ont été recrépies à la chaux, et au lieu des volets de bois gris, voilà de belles persiennes vertes !

— C’est mon père qui a eu cette idée-là… Il y a eu pour cent écus d’embellissemens.