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arriva à la Capucine, où personne ne l’attendait, Pierre eut quelque peine à se pouvoir loger. La maison était mal assise sur ses fondemens. Il fit porter ses malles dans un pavillon qui dépendait du corps de logis principal : le pavillon n’était pas grand, et il était assez mal meublé; mais Pierre déclara qu’il s’y trouvait à merveille et s’y installa. Son domestique grelottait rien qu’en entendant souffler le vent par les portes mal fermées. Le régisseur voulait qu’on mît au pillage toutes les auberges du pays pour préparer le dîner de M. Le comte. Pierre se fit apporter une omelette, un jambon, un pot de cidre, dîna de fort bon appétit, se coucha et dormit les poings fermés dans un lit à baldaquin dont les draps étaient de toile bise et les rideaux de serge.

Au point du jour, il ouvrit les volets. La vue était magnifique. La rivière coulait à une portée de fusil dans la prairie et tombait dans la mer, au pied d’une grande falaise dont les tons noirs et fauves se mariaient avec les teintes vertes de l’Océan. A gauche, la tour carrée et l’église trapue de Dives dominaient le bourg, dont les maisons basses étaient entourées d’une ceinture de vergers. Des collines à demi boisées fermaient ce côté de l’horizon, où l’on voyait, par une échancrure, le commencement de la vallée d’Auge. Tout en face, les dunes échelonnaient leurs mamelons, derrière lesquels on entendait battre la mer. De ce côté-là, on distinguait le clocher neuf de Cabourg et les cabanes de pêcheurs dispersées le long des prés. Le ciel était rempli de nuées grises, le vent soufflait avec violence : Pierre sortit pour voir la mer.

Trois jours après son arrivée à Dives, tout le monde dans le pays savait que M. Le comte de Villerglé était à la Capucine. Une bande d’ouvriers, maçons, menuisiers, couvreurs, s’était emparée de la vieille maison et se hâtait de la mettre en état de résister à tous les ouragans de l’hiver. On avait cru d’abord, et le régisseur tout le premier, que Pierre ne comptait pas rester plus d’une semaine à la Capucine; mais quand on apprit qu’il avait fait arranger le pavillon de fond en comble et nettoyer une écurie pour des chevaux qu’il attendait de Paris, on comprit que son intention était d’y demeurer quelque temps. Le fait est que Pierre se plaisait chaque jour davantage dans cette solitude. Il partait dès le matin, vêtu d’un épais caban, et battait la campagne dans tous les sens, un jour sur la grève, le lendemain dans la vallée. Il retrouvait un à un tous les sentiers qu’il avait jadis parcourus, et c’étaient pour lui comme des découvertes nouvelles. Le vent ni la pluie ne le pouvaient arrêter. Quand la bise balayait la grande plage qui longe les dunes de Cabourg, il se promenait pendant de longues heures, aspirant avec délices l’écume salée qui volait au-dessus du flot. S’il avait un fusil,