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avec un cœur droit et loyal, Pierre donnait la main à bien des gens qui ne le valaient pas.

Au moment où notre récit commence, Pierre venait de rentrer chez lui. Il pouvait être neuf heures du matin. Par un mouvement machinal, il chercha un flambeau sur la cheminée et se mit à rire en voyant un clair rayon de soleil qui passait par une fente de la persienne et pétillait sur le tapis. Il ouvrit la fenêtre, et la lumière pénétra à flots dans sa chambre. La pendule sonna, et Pierre pensa que l’heure était peut-être venue de se mettre au lit. Il jeta un cigare qu’il avait à la bouche, se coucha et tira les rideaux ; mais le sommeil ne vint pas. Pierre avait beau changer de position et s’obstiner à tenir les yeux fermés, rien n’y faisait. L’impatience le prit, il se leva. Un grand feu flambait dans la cheminée ; il poussa un fauteuil tout auprès, s’y jeta et alluma un second cigare. Tout en fumant, il récapitula dans sa pensée tout ce qu’il avait fait depuis la veille. Jamais journée n’avait été plus bruyamment employée. Le matin, il avait suivi une chasse à courre dans la forêt de Saint-Germain : le cerf s’était fait battre trois heures ; son briska l’avait ramené à Paris, et il avait assisté à une poule d’essai à Longchamp. Un poulain sur lequel il comptait beaucoup avait perdu ; une pouliche, sur laquelle il ne comptait pas, avait gagné. Il avait dîné au club, et vers huit heures il s’était rendu à l’Opéra, où il avait encouragé de ses applaudissemens la rentrée d’une danseuse qui avait quelques bontés pour lui. Pendant la soirée, on avait causé politique et chorégraphie. L’Autriche avait été fort mal menée dans cette conversation, et il avait été décidé d’un commun accord qu’on ne pouvait pas regretter Fanny Elssler quand on avait la Rosati. Vers minuit, Pierre s’était trouvé, lui sixième, à souper au Café-Anglais. Le souper fini, on avait taillé un baccarat, et Pierre avait gagné quatre cents louis. À trois heures, il saluait sa protégée à la porte de la maison qu’elle habitait rue de Provence, et au lieu de prendre le chemin de son hôtel, il avait repris le chemin du club. On y jouait encore, et il joua. La chance lui fut de nouveau favorable ; il ne voulut pas se lever avant que ses adversaires fussent las de perdre, et six heures sonnaient quand tomba la dernière carte. Les joueurs avaient grand’faim, on leur apporta des viandes froides, et ils déjeunèrent. Les bougies brûlaient encore que le jour était venu. On se sépara en se donnant rendez-vous à la porte Maillot pour un pari qui avait surgi entre deux convives, et un coupé, dont le cheval dormait à moitié, avait ramené Pierre rue de Miromesnil.

Cette revue faite, Pierre n’y trouva pas grand plaisir. Toutes ces courses, toutes ces chasses, tous ces paris, tous ces jeux, tous ces soupers, il les connaissait par cœur. C’était comme une route dont