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cour de Vienne n’était pas résolue à donner à sa marine une extension qu’on n’avait pas prévue jusqu’ici. L’Autriche sait d’autant mieux ce qu’elle y gagnera, que la guerre d’Orient vient de prouver ce que les effets de la navigation à vapeur et les perfectionnemens récens de l’artillerie faisaient soupçonner à tous les hommes clairvoyans; elle a vu que le rôle de la marine est changé, et qu’elle devra principalement désormais combiner son action avec celle des forces de terre, les transporter sur les points stratégiques où se décident les grandes questions. Son armée étendrait ainsi beaucoup la sphère de son influence, et l’infériorité relative de sa marine serait rachetée par cette association.

Les faits que nous venons d’exposer doivent tout d’abord éveiller l’émulation de la France. Lorsqu’elle ne possède sur la Méditerranée que 29,994 marins et 181,312 tonneaux de matériel, et qu’une puissance militaire peu éloignée marche rapidement au déploiement d’une force navale au moins double, il est temps pour elle d’élargir les bases de sa navigation sur cette mer : elle en a les moyens dans un ensemble de travaux recommandés depuis Vauban pour les côtes de Provence et de Languedoc, ainsi que dans les travaux analogues que réclament la Corse et l’Algérie. Quoi que nous fassions cependant, l’installation dans l’Adriatique d’une marine militaire capable de faire pencher, dans les circonstances graves, la balance du côté vers lequel elle se portera, est un événement européen des plus considérables. La réaction s’en fera surtout sentir dans le bassin de la Méditerranée, à l’avantage ou au détriment des nations riveraines, suivant les directions que prendra la politique de l’Autriche. Sans se laisser aller à un optimisme exagéré, on peut juger que l’avenir de la chancellerie de Vienne ne ressemblera pas toujours à son passé, et on a quelques raisons d’espérer que le résultat final méritera l’approbation de l’humanité. Il est du moins certain que le déplacement qui s’opère, sous l’influence de la navigation, dans les forces et les intérêts des meilleures provinces de l’empire y modifiera bien des vues et bien des ambitions. Déjà, dans beaucoup de questions économiques, on ne sait si Trieste est sous le vasselage de Vienne, ou Vienne sous celui de Trieste, et on se préoccupait fort, il y a deux ans, dans ces deux villes, d’une proposition de neutralisation de la Méditerranée tout entière que méditait M. de Bruck, aujourd’hui si bien placé pour faire adopter ses vues. Pour peu que ces tendances se prononcent davantage, la politique de l’Autriche pourra finir par ressembler beaucoup à la politique de tout le monde.


J.-J. BAUDE.