Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gustave n’ignorait pas ces ténébreuses menées. Il avait reproché à Reuterholm ses amitiés suspectes, il l’avait éloigné de sa personne, il lui avait retiré même la pension dont il jouissait. Il était tout entier d’ailleurs à la pensée d’organiser en Europe la contre-révolution. A ses premières offres de secours, la famille royale avait répondu par l’expression d’une sincère reconnaissance; Marie-Antoinette lui avait adressé une épée richement ornée, avec cette devise : « pour la défense des opprimés, » et elle lui avait écrit pour lui témoigner sa gratitude. Ces lettres, écrites au moment du danger par une reine dont le nom seul est pour la France un repentir et un remords, ont été conservées dans les archives suédoises. Nous en avons déjà cité une dans une publication spéciale concernant ces curieuses archives. En voici une autre[1] qui mérite d’être connue :


« Monsieur mon frère, j’ai été bien touchée de l’amitié et de l’intérêt particulier que votre majesté veut bien me témoigner dans sa lettre du 22 décembre. Les malheurs inévitables du plus beau royaume possible aggravent nos peines chaque jour. Il faut espérer que le temps et surtout la conviction ramèneront l’esprit et le cœur des Français à sentir qu’ils ne peuvent être heureux qu’en se ralliant sous les ordres et le gouvernement d’un roi juste et bon. Et quel autre trouveront-ils jamais, j’ose le dire, qui sache plus sacrifier ses intérêts personnels pour la tranquillité et pour le bonheur de son peuple?

« Mes enfans sont bien reconnaissans du souvenir de votre majesté, et, pour moi, je vous prie de ne jamais douter que je ne partage bien sincèrement tous les sentimens que le roi vous témoigne dans sa lettre. Vous connaissez depuis longtemps ceux que je vous ai voués et la haute considération avec laquelle je suis, monsieur mon frère, de votre majesté, la bonne sœur, MARIE-ANTOINETTE. — Ce 1er février 1790. »


Nous n’avons point à nous étendre ici sur les efforts dévoués de Gustave III en faveur de la famille royale. La collection d’Upsal offre en grand nombre les documens relatifs à cette tentative, les plans de descente maritime, les correspondances avec la noblesse de certaines provinces de France comme avec les émigrés, les preuves de la répugnance qu’inspirait à une partie des Suédois cette politique anti-révolutionnaire, tous les épisodes enfin du drame que vint terminer brusquement l’assassinat de Gustave III le 29 mars 1792. Il nous suffit d’avoir montré qu’un grave dissentiment le séparait dorénavant du serviteur auquel il avait témoigné naguère tant de confiance. Quelques éclaircissemens étaient sans doute nécessaires pour aider le lecteur à comprendre que les relations tout à l’heure si faciles entre Mme de Staël et Gustave III avaient dû se modifier profondément.

  1. Elle se trouve dans le tome XVI des Papiers de Gustave III, sous le numéro 44.