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demanderont jamais à la culture qu’une faible partie de ce qu’elle est en état de produire. La richesse en bétail de la vallée du Danube est connue, et son exubérance va chercher des débouchés jusque dans les ateliers de salaison de Hambourg : les troupeaux de porcs de la Servie et de la Basse-Hongrie remontent, à la remorque de bateaux à vapeur, le Danube jusqu’à Presbourg, y prennent les chemins de fer du nord, et leur chair transformée nourrit les équipages des mers septentrionales et revient même souvent dans la Méditerranée. Il ne faut, pour attirer ces troupeaux sur l’Adriatique et les faire suivre par les innombrables bœufs de la Hongrie, que l’ouverture de quelques communications nouvelles et la fondation de quelques établissemens de salaison sur les bords de cette mer. Trieste, Fiume, des dentelures à peine connues des navigateurs étrangers, qui s’ouvrent sur la côte d’Istrie au pied de petites villes qui n’en connaissent pas les avantages, s’offrent à l’envi pour le siège d’industries si nécessaires à la marine.

Des bases d’approvisionnement si larges et si solides ne sont qu’une partie des conditions de l’établissement maritime, et sans le personnel nécessaire pour donner à ce matériel de la vie et du mouvement, il attendrait sa valeur d’un commerce d’exportation dont les véhicules seraient fournis par les nations étrangères; mais le littoral autrichien n’en est pas réduit là : ses ressources en hommes sont au moins au niveau de ses ressources en matériel. De l’embouchure de l’Isonzo, où finit l’Italie, à l’extrémité du district de Cattaro, où commence la côte de Turquie, la distance en ligne droite est de 600 kilomètres ; mais le nombre et la profondeur des dentelures de ce rivage, la multitude des îles qui le couvrent, du fond du golfe de Quarnero à la latitude de Raguse, présentent une longueur développée de côte presque triple de celle de notre cinquième arrondissement maritime, qui, des Pyrénées au Var et la Corse comprise, est de 1,043 kilomètres. On peut dire ajuste titre de ces rivages, comme Strabon du territoire de Marseille, que les bras et les esprits y sont plutôt tournés du côté de la mer que du côté de la terre. Un sol rocailleux partout ailleurs qu’en Istrie, une culture de fruits de branche intermittente et peu productive, une mer poissonneuse, contraignent l’homme à chercher sa subsistance dans la navigation. Tout le monde est marin sur la côte orientale et dans les îles de l’Adriatique; les femmes même y manient l’aviron, et peut-être n’est-il pas au bord de la mer de curés qui ne sachent à la pêche commander la manœuvre à leurs paroissiens.

Les physiologistes ont souvent observé que les goûts et les aptitudes se transmettent avec le sang dans certaines classes d’hommes. L’industrie connaît des races d’ouvriers, et quand ces races se sont