Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand nombre d’étrangers industrieux auxquels on ne demandait compte ni de leurs croyances ni de leurs opinions, et son commerce faisait d’année en année des progrès sûrs, s’ils n’étaient pas toujours rapides. La révolution française éclata. La commotion qu’elle donna à l’Europe entière ne fut nulle part si violente qu’en Italie et en Autriche, et Trieste faillit en ressentir un des plus terribles contre-coups.

« Sire, écrivait de Milan, le 12 novembre 1796, le général Bonaparte à l’empereur François II, l’Europe veut la paix. Cette guerre désastreuse dure depuis trop longtemps. J’ai l’honneur de prévenir votre majesté que si elle n’envoie pas des plénipotentiaires à Paris pour entamer des négociations de paix, le directoire m’ordonne de combler le port de Trieste et de ruiner tous les établissemens de votre majesté sur l’Adriatique. Jusqu’ici j’ai été retenu dans l’exécution de ce plan par l’espérance de ne pas accroître le nombre des victimes innocentes de la guerre. Je désire que votre majesté soit sensible aux malheurs qui menacent ses sujets et rende le repos et la tranquillité au monde. » Ce langage fut compris. L’empereur, évacuant Vienne à la lueur lointaine de nos armes, souscrivit enfin aux préliminaires de la paix, et le 30 avril suivant le vainqueur d’Aréole transportait son quartier-général à Trieste, non pour y rien détruire, mais pour consommer l’anéantissement du gouvernement vénitien et placer sous la domination de l’Autriche tout ce que Venise possédait, en-deçà de Corfou, de côtes sur l’Adriatique. Ce fut l’objet du traité de Campo-Formio (16 avril 1797), traité qui ne fut, il est vrai, jamais complètement exécuté, mais qui n’en est pas moins le fondement de la grandeur maritime de Trieste, puisque les côtes, auparavant morcelées, de l’Istrie et de la Dalmatie n’ont pas cessé depuis d’être régies par les mêmes lois et réunies sous les mêmes bannières. L’œuvre de Charles VI et de Marie-Thérèse était incomplète et vacillante tant que le littoral de Trieste et celui de Fiume présentaient à peine ensemble une étendue de 50 kilomètres; ce qu’il importait d’établir, c’était l’unité du territoire, et pour élever l’établissement maritime, il fallait en élargir la base.

Il serait superflu de revenir sur les circonstances de l’occupation française, et il vaut mieux considérer les transformations qu’ont éprouvées, depuis 1728 jusqu’à nos jours, la ville et l’atterrage de Trieste.

Au moment de la visite de Charles VI, le port de Trieste n’était pas autre chose qu’une plage à courbure déprimée, bornée au nord par le pied des Alpes, au sud par la pointe Saint-André, et vers le milieu de laquelle s’ouvrait une darse de 36 ares de superficie. Cette darse, dont la dimension donne la mesure du mouvement maritime des temps antérieurs, est maintenant encadrée dans la place du