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sur les côtes d’Istrie et de Dalmatie, l’emplacement le plus propre à devenir le pivot des opérations navales à exécuter dans l’Adriatique. Il explora dans cette campagne toute la côte orientale de l’Istrie et fit lever les cartes de tous les atterrages propres à recevoir des bâtimens de guerre; il s’arrêta surtout à celui de Pola, dont nous aurons à parler plus loin. Le havre de Pola avait été dans l’antiquité, pendant les guerres d’Illyrie et de Pannonie, le centre des mouvemens des flottes romaines, et, après la conquête de ces provinces, le siège d’une station navale chargée de la police de la partie septentrionale de l’Adriatique. Décrié plutôt que délaissé par les Vénitiens, qui ne voulaient ni provoquer les tentatives de leurs ennemis ni placer hors du sein de leur ville la base de leur établissement militaire, il passait pour inaccessible aux bâtimens de guerre, à cause d’une prétendue barre sous-marine qui leur en aurait interdit l’entrée. M. Beautemps-Beaupré restitua ses qualités nautiques au port de guerre des Romains, et démontra qu’il satisfaisait à toutes les exigences des marines modernes. Peut-être cependant était-il possible de trouver mieux encore, si ce n’était pour les aménagemens intérieurs, du moins pour la position stratégique. Napoléon trouvait Pola trop reculé vers le fond du golfe pour un port militaire; il voulait qu’on se rapprochât de Corfou et de Brindes pour mieux couvrir la côte d’Italie et les provinces illyriennes elles-mêmes : les bouches de Cattaro, situées au sud-est de Raguse, presque en face du mont Gargan, lui semblaient si bien réunir toutes les conditions de son programme, qu’il se plaignait qu’on n’eût pas commencé par l’exploration de ce golfe. Il attendit néanmoins, pour prendre une résolution définitive, l’achèvement des études dont la côte de Dalmatie devait être J’objet, et le résultat des campagnes de 1808 et 1809 fit voir combien cette réserve avait été sage.

Parti de Zara avec les matériaux hydrographiques recueillis dans les deux campagnes, M. Beautemps-Beaupré arriva le 5 août 1809 à Vienne; c’était un mois après la bataille de Wagram. Napoléon trouvait à Schœnbrunn du temps pour réorganiser son armée, pour surveiller les affaires intérieures de l’empire, pour diriger les négociations de la paix et pour préparer la constitution des établissemens maritimes sur lesquels l’expédition de lord Chatam contre Anvers venait de rappeler péniblement son attention. Il retint M. Beautemps-Beaupré jusqu’à la fin du mois, l’appela plusieurs fois près de lui, et, les cartes sous les yeux, lui fit rendre compte de l’ensemble et des détails de sa mission. Il se convainquit qu’il manquait aux bouches de Cattaro, pour être avec leurs trois bassins successifs le meilleur port du monde, la possibilité d’entrée et de sortie par tous les temps, et lorsque le savant hydrographe lui remit le résumé des défauts stratégiques de ce beau golfe, « il est bien regrettable, dit-il, que