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« MALVINA. — Ah ! je les encourage, quand cette carte même vous prouve qu’il a voulu me voir et que je ne l’ai pas reçu!

« FRÉDÉRIC, à part. — Ah! mon Dieu! c’est vrai.

« MALVINA. — Frédéric, venez ici; asseyez-vous un moment. Je vous ai dit que votre discours était préparé et que vous le récitiez mal. Etes-vous venu jouer la comédie? Ce serait indigne de vous et de moi. Laissez donc toute feinte et parlez-moi franchement. J’ai trop souffert dans la vie pour n’être pas accoutumée à la douleur. Celle-ci, je l’attends depuis longtemps. Vous vous mariez, Frédéric?

« FRÉDÉRIC. — Moi?

« MALVINA. — Allons, soyez sincère. Cela devait arriver un jour. J’espérais que ce serait plus tard, mais j’y suis préparée.

« FRÉDÉRIC, à part. — Pauvre Malvina! (Haut.) Non, ma chère, je vous assure. Peut-être mon oncle le désirerait-il, et si je devais suivre ses conseils...

« MALVINA. — Quelle est votre fiancée?

« FRÉDÉRIC. — Mais quand je vous dis...

« MALVINA. — Non, je veux le savoir. Ce n’est de ma part ni curiosité, ni jalousie; c’est affection, affection profonde. Frédéric, dis-moi quelle est ta fiancée, car j’ai besoin que tu sois heureux. Je n’ai eu que des chagrins dans ma vie. Sacrifiée très jeune à un homme qui avait trente ans de plus que moi, le mariage m’a semblé une profanation de l’amour. Mon mari était pourtant un honnête homme; mais son cœur, naturellement froid, desséché par de longues études sur le droit criminel... Mon Dieu! jamais une parole d’affection qui fît écho dans mon âme. Plus tard, je crus avoir trouvé un homme qui savait aimer. Il était franc, généreux, sensible... Je m’étais trompée. Bientôt vint l’occasion de le mettre à l’épreuve; l’épreuve tua l’illusion et coûta du sang. Le peu d’années qui s’écoulèrent ensuite jusqu’à la mort de mon mari furent des siècles d’amertume et de douleur.

« FRÉDÉRIC. — Je le sais, je ne le sais que trop.

« MALVINA. — Que savez-vous? Heureux âge de présomption! Le temps t’apprendra la science de la douleur, et alors tu comprendras ce que souffre une femme qui ne sait où reposer son cœur vide de toute tendre affection, une femme qui trouve un maître froid et sévère en celui qu’on lui impose pour époux, une femme qui n’a pas de fils sur qui exercer son infinie puissance d’aimer. Mais non, jamais, jamais ! les hommes ne le comprendront jamais.

« FRÉDÉRIC. — Écoutez-moi, mon amie. J’ai peut-être eu tort de vous reprocher les assiduités de mon cousin; mais vous devez voir par là tout le prix que j’attache à votre amitié. Maintenant, croyez-le, vous vous alarmez à tort.

« MALVINA. — Quelle est donc ta fiancée, Frédéric?

« FRÉDÉRIC. — Je vous jure...

« MALVINA. — Pourquoi veux-tu m’en faire un mystère? Crois-tu donc que je veuille t’adresser des reproches? Crois-tu que je ne sois pas prête depuis longtemps à perdre ma dernière illusion? Crois-tu que je n’aie pas le courage de me sacrifier à ton bonheur?

« FRÉDÉRIC. — Malvina, mon bonheur est ici, près de vous; je n’en veux pas d’autre. Mon oncle voudrait me marier, cela est vrai, vous le savez; mais…..