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II.

Ce qui distingue l’ère nouvelle dans laquelle paraît entrer le théâtre italien, c’est le nombre considérable des œuvres qui s’y produisent. Les désastres de 1849 auraient dû, ce semble, achever d’abattre ce malheureux peuple : ils n’ont fait qu’accroître son ardeur. Dans l’excès même de sa misère il puise de nouvelles forces, ou du moins la suprême espérance des vaincus. Ainsi à Florence, la saison du carnaval en 1855 a vu éclore trois comédies, quatorze drames, une tragédie, huit pochades, sans compter les importations. Cette activité, fût-elle impuissante, serait encore méritoire, car tout conspire à détourner du théâtre les jeunes talens. Le public d’abord : il ne respecte pas les droits de la fiction, il croit à outrance à la réalité. Les Italiens s’obstinent à voir dans les personnages d’une comédie des portraits, des caricatures de leurs amis, de leurs parens ou d’eux-mêmes, comme au temps d’Aristophane. Un auteur ne peut faire choix d’un nom vulgaire, indiquer, pour plus de précision, la rue où est censé loger tel personnage imaginaire, sans qu’on aille vérifier l’exactitude de ses assertions, sans qu’on lui reproche des allusions dont il n’a pas eu la pensée. De là des démentis, des insultes, des provocations. Comment ce naïf et bizarre travers n’a-t-il pas été déjà mis à la scène ou ridiculisé par le roman ? Ce serait le meilleur moyen de corriger des spectateurs dont les susceptibilités puériles et les tendances réalistes chassent la vérité du théâtre. Il y a là un bon sujet de comédie.

Ce n’est pas tout encore, puisque nous parlons des difficultés toutes matérielles que rencontre le théâtre en Italie, il faut signaler les exigences des habitués qui louent les loges pour une saison.

Il leur faut du nouveau, n’en fùt-il plus au monde.

Les directeurs n’ont garde de mécontenter les auditeurs qui leur assurent presque seuls des recettes; chaque ouvrage est condamné ainsi à ne faire qu’un petit nombre d’apparitions, et l’on comprend avec quelle répugnance les impresarii montent des pièces nouvelles qui nécessitent des frais de mise en scène et les obligent à payer des droits d’auteur[1]. Les gouvernemens, il est vrai, se croient tenus d’encourager le développement de la littérature nationale et proposent des primes pour les meilleurs ouvrages mis au théâtre, ou, ce qui est plus économique, ils contraignent les entrepreneurs dra-

  1. Ce n’est pas que ces droits d’auteur soient ruineux, car on assure que, dans certaines parties de l’Italie, ils n’excèdent jamais 400 francs, si la pièce est représentée pour la première fois, et 17 francs s’il s’agit d’une reprise; mais quoi! pour 15 francs n’a-t-on pas une traduction présentable d’une pièce française ?