Après sa mort, son nom repassa triomphalement les Alpes, et de nos jours le mouvement national qui pousse la péninsule à exhumer toutes ses gloires l’a fait placer sur un piédestal peut-être trop élevé. On joue ses comédies, on joue la même douze fois de suite dans des villes, — à Florence par exemple, — où la police défend de représenter, sans une autorisation expresse, deux fois le même ouvrage. Qui songerait maintenant à remettre au théâtre les plus charmantes pièces de Gozzi?
Alfieri, à qui il était réservé de réformer la tragédie, eut moins d’obstacles à surmonter. 6n a dit bien souvent qu’il l’avait importée en Italie, et Ginguené, malgré sa profonde connaissance de la littérature italienne, semble s’être fait l’écho de cette opinion. Ainsi vont les choses : on ne tient nul compte de ceux qui déblaient la route, mais seulement de celui qui atteint le but. Maffei lui-même, malgré son talent incontestable, disparaît dans l’holocauste de renommées offert au génie nouveau. Ce n’est pas à dire qu’Alfieri ne fut que l’Améric Vespuce de la tragédie. S’il n’y avait rien à découvrir, il y avait à réformer; le mérite de ce grand écrivain fut de se montrer, dans ses réformes, plus radical et plus intelligent que ses prédécesseurs. On le sait : dès les premiers temps, la tragédie italienne avait suivi avec une servilité extraordinaire les règles les plus extérieures de l’art ancien; Alfieri ne fit que pousser plus loin l’imitation et s’inspirer de l’esprit plutôt que de la lettre. Ce qui donne une apparence de nouveauté à son théâtre, c’est que Corneille et Racine avaient fait oublier les précédons tragiques italiens. Sur les principales scènes d’Italie, on jouait Iphigénie ou Rodogune, et non la Sofonisba du Trissin, la Rosmonda de Ruccellai, l’Aristodeme de Dottori. Cependant, si le rôle pris par Alfieri a moins de nouveauté qu’on ne le dit d’ordinaire, l’heureuse alliance de la pensée réformatrice et d’un rare talent d’exécution ne permet pas d’en diminuer l’importance. Il sut imiter l’antique plus fidèlement que personne, rester simple et sévère sans manquer d’intérêt, enfermer, sans trop de sécheresse, les éternelles maximes de la politique et de la philosophie dans des vers concis et énergiques, transformer sa langue maternelle, lui ôter ces allures efféminées qu’elle affectait avant lui, et que ceux-là seuls qui la pratiquent peu lui reprochent encore aujourd’hui, contribuer enfin plus que personne à donner au caractère italien une virilité qu’il devient chaque jour plus injuste de lui contester. Ginguené l’a dit avec raison : si l’on va plus loin qu’Alfieri, ce ne sera jamais qu’en marchant sur ses traces. Il aurait pu ajouter qu’on peut s’inspirer d’un poète et suivre cependant une voie différente. Telle fut l’imitation libre, indépendante en quelque sorte, des écrivains dramatiques qui ouvrirent le XIXe siècle.
Ce sont des noms glorieux dans l’histoire littéraire de l’Italie que