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Malgré tant d’efforts et de sacrifices, Riccoboni ne parvint pas à rétablir la comédie régulière à côté de la comédie improvisée. L’ignorance, qui était alors extrême et s’étendait jusqu’à la littérature nationale, lui opposa des obstacles insurmontables. Il finit, lui aussi, par se décourager : une curieuse aventure lui fit, comme on dit vulgairement, jeter le manche après la cognée. Ayant résolu de faire représenter une pièce écrite d’un bout à l’autre et sans personnages masqués, il fit choix de la Scolastica, le meilleur ouvrage dramatique de l’Arioste, espérant que le nom de l’auteur et l’origine italienne de l’ouvrage seraient pour un parterre italien un double attrait. Du reste, il avait retouché plusieurs scènes pour les mettre en harmonie avec les mœurs du temps. Nous jugerions aujourd’hui qu’il faut représenter les œuvres anciennes dans leur originalité native, ou ne pas les représenter du tout; à cette époque, une telle condescendance était probablement nécessaire, elle n’eut d’ailleurs aucune influence sur le résultat de l’entreprise. Comme Riccoboni l’avait pensé, le nom de l’Arioste attira la foule. Malheureusement tout ce monde ignorait que le grand poète eût écrit des comédies, on s’attendait à une pièce tirée du Roland furieux; quand on ne vit paraître sur la scène aucun des personnages si connus de cette immortelle épopée de la chevalerie, on murmura, on se fâcha, on ne voulut rien entendre, et il fallut baisser le rideau avant la fin du quatrième acte. Aussitôt Riccoboni fit ses préparatifs pour quitter l’Italie : il se rendit à Paris, où il joua, non sans succès, en compagnie du fameux Dominique. Il écrivit quelques ouvrages en français, entre autres l’Histoire du théâtre italien, et s’honora d’illustres amitiés. La célèbre Mme Riccoboni fut la femme de son fils.

Au fond, malgré sa plaisante mésaventure, ses efforts n’avaient pas été infructueux. La tragédie était de nouveau en honneur, et l’introduction, à quelque titre que ce fût, des comédies françaises sur les scènes d’Italie devait, avant qu’il fût longtemps, provoquer une féconde imitation. En attendant, le talent dramatique allait se réfugier, pour quelques années, sous l’aile de la musique, où certes on ne se serait pas avisé de le chercher. Faut-il parler ici de ce Métastase, de qui Voltaire disait que certaines scènes de ses ouvrages étaient dignes de Corneille quand il n’est pas déclamateur, et de Racine quand il n’est pas faible? C’est pousser un peu loin l’éloge; pourtant Rousseau, La Harpe, Schlegel ne sont guère moins favorables à ce brillant rival de Quinault. Sans doute ses héros sont mignards, délicats, fades et doucereux : ils disent tout tendrement, jusqu’à je vous hais; mais chez Métastase la route de Tendre mène au royaume du pathétique, où il règne en maître. C’est quelque chose que d’avoir conservé sa valeur personnelle malgré les exigences du