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votre majesté la nomination de mon père; mais on lui remet le vaisseau si près du naufrage, que toute mon admiration suffit à peine pour m’inspirer de la confiance... »

À ce moment, en effet, la scène change presque tout à coup. Des événemens d’une grandeur imprévue, puis des malheurs et des crimes épouvantables dissipent le monde oisif et élégant du XVIIIe siècle, et substituent aux vaines jouissances qu’on goûtait en commun des idées, des regrets, des espérances et des craintes absolument diverses. On se divise, on se combat, jusqu’à ce que la mort ou l’exil vienne faire raison de tous les dissentimens.


III. — DISSENTIMENS AVEC GUSTAVE III. — FIN DE l’AMBASSADE.

On nous permettra bien, à l’occasion de Mme de Staël, de nous intéresser à son mari; il nous serait d’ailleurs impossible, sans quelques détails sur la conduite politique de l’ambassadeur, de comprendre nettement les nouveaux rapports dans lesquels Mme de Staël s’allait trouver placée à l’égard de Gustave III.

Si complètement heureux de son vivant par le succès de tous ses vœux et par son éclatante fortune, M. de Staël a moins bien réussi après sa mort auprès de la postérité. Le nom de Staël n’est connu aux Français et n’est devenu célèbre pour eux que par le souvenir de sa femme, leur spirituelle et généreuse compatriote. Aux yeux des Suédois, le baron diplomate souffre du souvenir qu’a laissé son prédécesseur, le comte de Creutz, poète aimable et homme de beaucoup d’esprit.

Ce n’est pas que M. de Staël manque d’une intelligence vive et pratique. On l’a vu, prudent et avisé dans le choix et la préparation de sa fortune, engager peu à peu Gustave III et l’envelopper de liens indissolubles. Ses dépêches et sa correspondance particulière avec le roi montrent un esprit actif et ardent. Non content d’exécuter avec soin les ordres de son maître auprès de la cour et des ministres ou des personnages les plus influens de l’état, il imagine sans cesse quelque projet nouveau pour la plus grande gloire ou le plus grand profit de la Suède. En même temps qu’il conclut au milieu de circonstances très difficiles d’utiles traités de subsides, il veut faire nommer Gustave III roi de Pologne (janvier 1791); il entretient des émissaires auprès de M. Pitt, afin d’obtenir pour la Suède l’alliance anglaise contre l’impératrice de Russie; il surveille les négociations du cabinet de Saint-Pétersbourg avec les chevaliers de Malte, qui peuvent introduire la marine russe dans la Méditerranée ; il soupçonne ses intrigues pour profiter des troubles de la Corse; il s’efforce, parmi les troubles de la France, d’attirer en