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c’était de faire du service de l’Inde le service le mieux rétribué du monde. C’était aussi le moyen d’attirer dans les rangs de la compagnie des jeunes gens d’élite ayant puisé dans des familles honorables des principes solides de moralité, jeunes gens qui en étaient jusque-là restés éloignés. Tels étaient à cette époque les dangers et les privations du voyage, la mauvaise renommée des employés, leurs occupations mesquines et exclusivement commerciales, que la compagnie ne voyait guère arriver dans ses rangs d’autres recrues que des aventuriers décidés à marcher à la fortune, n’importe par quel chemin. Au milieu de ces derniers, de grands hommes d’état se révélèrent sans doute : lord Clive et Warren Hastings, par leur heureuse audace, leur profonde intelligence du caractère natif, commencèrent sur de larges bases l’édifice de la puissance anglaise dans l’Inde; mais ces esprits éminens eux-mêmes, éloignés de l’Angleterre depuis leur enfance, avaient dépouillé en grande partie ces instincts honnêtes, cette haine de la fraude et du mensonge, cette susceptibilité morale, sans lesquels il n’est point d’homme vraiment supérieur dans la société européenne. Aussi, en examinant les actes de leur vie, lorsqu’on en trouve qu’une morale même facile ne peut s’empêcher de réprouver, il faut penser non-seulement au succès qui justifie bien des choses, mais encore au milieu corrompu et corrupteur dans lequel ils avaient vécu dès leur plus tendre jeunesse.

Lorsque le marquis de Cornwallis arriva dans l’Inde, la compagnie n’était plus seulement une association de marchands, et d’autres intérêts que ceux des transactions commerciales devaient préoccuper ses représentans immédiats. En trente ans, les victoires de Clive et de Hastings avaient donné à l’Angleterre dans l’est un empire qui, pour la richesse et l’étendue, ne le cédait en rien aux conquêtes de Cortez et de Pizarre. Il ne s’agissait plus pour les agens civils de la compagnie d’auner du drap, de peser du salpêtre, mais bien de remplir les fonctions les plus ardues qui puissent échoir à l’homme public. Rendre justice à des millions d’hommes différens entre eux de manières et de langages, administrer un système de revenu compliqué dans des districts grands comme des royaumes d’Europe, maintenir l’ordre et l’empire des lois au milieu d’une population corrompue, être à la fois juge, administrateur, financier, diplomate, souvent même soldat, tels étaient les devoirs multiples que les officiers civils de la compagnie avaient à remplir, et de leur intégrité, de leur aptitude, de leur dévouement allait dépendre la fortune de l’Angleterre dans l’Inde. Lord Cornwallis voulut mettre le salaire des employés civils à la hauteur de la mission qu’ils avaient à remplir, et régla sur une échelle vraiment magnifique les émolumens de l’administration indienne. Ces émolumens sont restés les mêmes pendant trente-cinq ans jusqu’aux réductions faites en