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pophages. « Dans la dernière session, la chambre des communes a dû écouter des histoires de flagellations et de tortures pratiquées dans les prisons. »


Emerson aurait pu ajouter que cette férocité se révèle encore dans l’aspect général de la société anglaise, qui a quelque chose de ténébreux et de sinistre. Les curiosités de l’Angleterre ne sont pas les spectacles, les lieux publics, les offices religieux, le parlement, ni même ces courses et ces chasses à outrance, principaux divertissemens de la société anglaise : non, les curiosités véritables de ce pays singulier sont beaucoup moins gaies et beaucoup plus repoussantes. Les Anglais sont riches en institutions et en établissemens sinistres. Les prisons, le tread mill, les workhouses, les ragged schools, sont au nombre des principales originalités du pays. La portion la plus riche et la plus intéressante de leur littérature contemporaine est celle qui concerne les populations malfaisantes et les classes d’habitude abandonnées. Combien y a-t-il de mendians et de voleurs dans la métropole ? Combien y a-t-il de filles qui foulent chaque soir les pavés de Londres ? Les mendians anglais qui couchent sur le seuil des portes sont-ils plus malheureux que les Irlandais qui logent dans les étables à cochons ? Telles sont quelques-unes des aimables questions auxquelles répond cette littérature. Les lieux de plaisir de l’Angleterre partagent cet aspect hideux, et sont faits pour inspirer tout autre chose que le plaisir. Quelle différence entre les lieux publics où s’assemblent les gaies populations méridionales et ces palais du gin où s’enivrent quotidiennement les pauvres de l’Angleterre, ces tavernes étouffantes, infectes, où les petites classes moyennes vont s’entasser le soir, sous prétexte de divertissement, comme des harengs dans une caque ! Lord Wellington disait avec dédain des populations méridionales : « Ces gens-là n’ont pas de maison. » Rien n’est plus vrai ; en revanche elles savent vivre au grand air. L’Anglais, animal domestique, possède une maison ; mais lorsque, pour une raison ou pour une autre, le home lui est refusé, nulle bête fauve n’a d’habitudes plus farouches. Ces aspects sinistres de la société anglaise, ces particularités du crime et du vice, ont été omis par Emerson, qui, avec sa dignité de gentleman, s’est dispensé de marcher dans cette boue ; mais ils doivent être signalés, car, mieux que la boxe et les combats d’ours, ils portent témoignage de cette nature épaisse et animale que la civilisation n’a pu encore réduire.

C’est trop insister cependant sur ce côté sombre de la société anglaise. Nous aimons mieux chercher ailleurs des preuves plus humaines de la thèse que nous avons adoptée. Emerson, avec sa pénétration habituelle, en indique deux sur lesquelles il est regrettable qu’il n’ait pas insisté davantage, la beauté physique et l’amour de