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Troisième Bulletin de nouvelles (novembre 1786).

« ….. M. L’abbé Maury a fait une oraison funèbre de M. Le duc d’Orléans. Il n’a pas donné un seul éloge direct à M. Le duc d’Orléans actuel, et dans ce qui était indirect il était facile de découvrir des critiques. Le lendemain du jour qu’il a prêché son oraison, il s’est hâté d’aller faire des excuses à M. Le duc d’Orléans de ce qu’il n’avait pas parlé de lui. Cette adroite réparation n’a pas touché M. Le duc d’Orléans. Il avait appelé Mme de Montesson l’épouse incomparable du duc d’Orléans; ces deux noms lui sont si bien disputés, qu’on a défendu l’impression de l’oraison funèbre. Cet abbé Maury a passé sa vie à louer bassement tout le monde; il a manqué par gaucherie cette occasion de plaire au duc d’Orléans. L’imprudence d’un flatteur fait plaisir; on aime à le voir échouer dans son genre. Ce même abbé Maury allait, il y a quelques jours, chez Mme de Flahaut; elle commença par se plaindre de ce qu’il était resté si longtemps sans la venir voir. « Hélas ! madame, lui répondit l’abbé Maury, j’ai un de mes amis, l’abbé de Boismond, attaqué d’une paralysie qui a occupé tous mes momens; il vient hier de récompenser mes soins d’une manière bien généreuse : il m’a résigné son bénéfice. — Ah! tant mieux! lui répondit MmE de Flahaut; maintenant que vous êtes libre, nous vous verrons plus souvent. » Les bons mots sont les événemens de Paris; ils font les sujets des conversations pendant plusieurs jours.

« Mme de Genlis vient d’hériter de 200,000 livres de rente à la mort de Mme la maréchale d’Estrées. Elle doit compte de ce qu’elle en fera, car elle a associé le public à toutes ses actions. On dit qu’elle va faire paraître un ouvrage qui réfutera toutes les opinions irréligieuses des philosophes.

« Il vient de paraître un mémoire de M. Dupaty, premier président au parlement de Bordeaux, pour plaider la cause de trois hommes innocens condamnés à la roue, dont tous les honnêtes gens sont enthousiastes. Mille morts sur un champ de bataille ne révoltent pas comme un supplice injuste. La jurisprudence criminelle en France induit souvent le juge en erreur, et il serait à souhaiter que le cri public forçât à des changemens. Les conversations des sociétés ne sont plus oiseuses, puisque c’est par elles que l’opinion publique se forme; les paroles sont devenues des actions, et tous les cœurs sensibles vantent avec transport un mémoire que l’humanité anime, et qui paraît plein de talent parce qu’il est plein d’âme. Il a pourtant été dénoncé au parlement hier. On prépare un réquisitoire, les juges sont offensés d’être accusés d’avoir condamné injustement; mais les malheureux, je l’espère, seront sauvés, et c’est tout ce que souhaite l’honnête homme qui s’est exposé pour eux. Les magistrats sont si indignés de sa témérité, qu’il faudrait se garder de l’admirer.

« La reine m’a reçue avec bonté, ainsi que le roi; elle m’a dit qu’il y avait longtemps qu’elle avait envie de faire ma connaissance, et de cette manière-là elle paraît distinguer tout ce qui porte le nom de Suédois. Le repas a été le plus magnifique qu’on ait donné à aucune ambassadrice. Huit jours après, j’ai été dîner chez M. de Vergennes avec l’ambassadrice d’Espagne; il nous a prises toutes les deux par la main pour nous faire passer ensemble.