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d’agrément de tout Anglais de condition. C’est le plus vorace peuple de proie qui ait jamais existé. Chaque saison ramène l’aristocratie à la campagne pour chasser et pêcher. Les plus vigoureux sortent de l’île et s’en vont en Europe, en Amérique, en Asie, en Afrique, en Australie, pour se livrer avec fureur à toutes les variétés de la chasse, chasse au fusil, chasse au piège, au harpon, au lasso, chasses au moyen du chien, du cheval, de l’éléphant, du dromadaire. Ils ont écrit les livres de chasse de toutes les contrées, ainsi que le témoignent les écrits de Hawker, de Scroop, de Murray, de Herbert, de Maxwell, de Cumming et d’une infinité de voyageurs. » Cette fureur d’action, qui survit souvent à l’âge de l’action, se traduit par des luttes d’une variété de formes infinies. Tout tourne à la lutte en Angleterre, même les occupations paisibles. Les Anglais forgent le fer, construisent des manufactures, défrichent, émigrent, comme ils chassent et voyagent.

Emerson, qui a si excellemment jugé cette faculté d’activité, aurait pu pousser beaucoup plus loin son analyse. Toute la vie intellectuelle de l’Angleterre se ressent de cet instinct dominant. Ce n’est pas un peuple contemplateur ni même méditatif, dans le vrai sens du mot ; c’est un peuple imaginatif. Tout ce qui peut imprimer une secousse à ses nerfs, tout ce qui lui procure une sensation nouvelle, il le recherche avec avidité. Il aime la nature comme il aime une longue course et un bain rafraîchissant au bout de cette course. Son intelligence est peu spéculative, et il sent tout corporellement. Son tempérament est, pour ainsi dire, plus intellectuel que son âme. De là la magie propre à ses poètes, et qui n’appartient à aucun autre peuple. Les poètes anglais ne décrivent pas la nature comme de didactiques académiciens, ils ne la célèbrent pas comme des admirateurs et des dilettanti ; encore moins la contemplent-ils pieusement, comme de mystiques brahmanes, d’un œil religieux. Elle ne leur inspire ni piété, ni amour désintéressé, elle ne leur inspire que des désirs de possession. Amans violens et hardis, ils portent la main sur elle, s’enivrent de sa lumière, se roulent dans ses fleurs et se relèvent le corps imprégné de ses parfums. De cet amour actif, excessif, de cette prise de possession réelle de la nature, dérivent toutes les qualités propres aux poètes anglais : le luxe des images, l’impression vive, acre, pénétrante du plaisir ressenti, les frissons nerveux, les spasmes du cœur, les cris d’enthousiasme et de douleur, en un mot toutes les émotions vivantes et toutes les chastes voluptés que peut faire éprouver la nature à un homme énergiquement doué. Cette ardeur active, entreprenante, cet amour passionné, sincère, absorbant de la nature, qui repoussent toute idée de méditation, d’état passif, sont le grand caractère des poètes anglais, depuis Shakspeare et les contemporains d’Elisabeth jusqu’à Byron et à Shel-