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perfectionnement de ces mêmes instincts et de ces mêmes institutions ; tous personnifient à des degrés divers le même esprit, l’esprit germanique, et le même principe, la liberté individuelle. Les races n’ont pas été croisées ; les alliances accomplies n’ont jamais dépassé un certain degré de parenté ; mariages et querelles ont été des mariages et des querelles de famille : c’est dans ce fait physiologique d’un sang pur de tout mélange violent, et dans ce fait moral d’une âme pure de toute éducation antipathique à ses goûts et à ses habitudes, qu’il faut chercher l’origine de la civilisation anglaise.

Ces instincts n’ont pas disparu, ils se sont transformés : de pirates et de guerriers, les Anglais sont devenus colonisateurs et commerçans ; mais aujourd’hui comme autrefois la même exubérante activité, la même absorbante énergie, se font remarquer chez eux. Le voyageur qui descend Cheapside ou le Strand, au spectacle de ces milliers de voitures pressées les unes contre les autres et guidées par des cochers en haillons plus habiles que ne le furent jamais les coureurs des jeux olympiques, au spectacle de cette foule qui se rue plutôt qu’elle ne marche, de ces passans au pas précipité et à l’air affairé, ce voyageur, s’il a quelque imagination, ne peut s’empêcher de penser aux mêlées meurtrières et aux annales sanglantes du passé. Pour l’Anglais moderne comme pour le vieux Scandinave, la vie est toujours un combat ; les champs de bataille seuls ont changé. Dans les hautes classes de la société, ainsi que le remarque fort bien Emerson, le raffinement de la civilisation ne fait que donner à cette énergie native une force de plus ; le charme des manières rend la victoire plus sûre encore, la résistance plus inutile, et les personnes plus formidables. Du haut en bas de l’échelle sociale, ils sont physiquement vigoureux et ont un goût prononcé pour les exercices physiques. « Les Anglais ont une énergie constitutionnelle plus grande que celle d’aucun autre peuple, dit Emerson. Ils pensent, avec Henri IV, que les exercices virils sont le fondement de cette élévation d’esprit qui donne à un homme son ascendant sur un autre homme, ou avec les Arabes que les jours passés à la chasse ne comptent pas dans le cours de la vie. Ils boxent, courent, chassent, montent à cheval, nagent, rament et naviguent d’un pôle à l’autre. Ils boivent et mangent à outrance, vivent librement au grand air, et mettent un intervalle de solide sommeil entre leurs journées. Ils marchent et vont à cheval le plus vite qu’ils peuvent, la tête penchée en avant, comme s’ils étaient pressés par quelque affaire urgente. Les Français disent que les Anglais marchent toujours droit devant eux dans les rues, comme des chiens atteints de folie. Hommes et femmes marchent avec un empressement frénétique. Aussitôt qu’ils ont la force de tenir un fusil, la chasse est l’art