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D’autres, quand la reine leur demandait quel temps il faisait, ne croyaient pas devoir laisser échapper une semblable occasion de se faire connaître et répondaient bien au long à cette question; mais d’autres aussi montraient du respect sans crainte et de l’empressement sans avidité. — Sans doute ce tableau n’est pas nouveau pour un roi, toutes les cours se ressemblent; mais quand les hommages dus au trône sont mérités par le génie, quand on se courbe par devoir devant celui qu’on aurait honoré par choix, les plus grandes marques du plus profond respect et du plus vif désir de plaire rappellent plutôt le mérite de celui qui les reçoit que le rang qu’il occupe. — Le roi de France ne paraît point en société; l’on y rencontre toute la famille royale, mais l’on ne voit le roi qu’à son coucher, à son lever, et le dimanche lorsqu’on lui fait sa cour. Il ne va jamais au jeu de la reine, il chasse et lit; mais c’est assez plaisant d’entendre dire quand il ne chasse pas ou qu’il ne va pas au spectacle : « Le roi ne fait rien aujourd’hui, » c’est-à-dire qu’il travaille toute la soirée avec ses ministres.

« On a beaucoup dit que le baron de Breteuil proposerait à Fontainebleau un plan d’édit pour assurer les mariages et l’état des protestans; il est certain que c’est son intention. L’on se déshonore, il est vrai, lorsqu’on veut trouver dans la religion des contractans un moyen de cassation; mais enfin la loi subsiste, et les mœurs seules en diminuent l’horrible inconvénient.

« Le duc de Normandie a été assez malade à Fontainebleau. Mme de Polignac l’avait caché à la reine. Elle est entrée par hasard chez son fils dans le moment où l’on venait de lui mettre des sangsues. A l’aspect de cet enfant couvert de sang et en convulsion, la reine est tombée sans connaissance. C’est la meilleure mère possible.

« La reine n’admet plus à jouer avec elle M. de Chalabre ni M. de Frovanet, les deux plus gros joueurs de la cour. M. Le comte d’Artois, le premier jour, a appelé M. de Frovanet pour faire la partie, et la reine lui en a fait des reproches. On dit aussi qu’elle a dit à Monsieur, qui voulait conserver un garde du corps qui avait refusé de se battre, que, si les autres gardes du corps pensaient comme elle, ils quitteraient tous le service de Monsieur. Le roi, pendant ce voyage, a donné des signes de mécontentement à des personnes d’une réputation suspecte. Enfin l’impression totale de ce voyage a ajouté à l’idée qu’on a du désir qu’ont le roi et la reine de conserver les principes de l’honneur et de la probité parmi ceux qui les entourent.

« Les appartemens que le roi et surtout la reine se sont fait faire à Fontainebleau sont d’une magnificence extraordinaire. Le cabinet de la reine est beau dans tous les détails au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Elle ne permet plus à tout le monde de le voir depuis qu’ayant permis à M. de Conflans d’y aller, elle le trouva rempli à son retour de tous les acteurs et de toutes les actrices qu’il y avait amenés.

« On dit, — et c’est sûr même, — que M. de Calonne causait, il y a quelque temps, à table sur les ministres du temps de Louis XIV. Un de ses amis lui disait qu’alors les fortunes que faisaient les ministres étaient immenses; il lui rappelait Mazarin, Louvois, et se plaignait de ce qu’on ne s’enrichissait plus à cet excès. « Pardonnez-moi, dit M. de Calonne, le métier n’est pas gâté. » Il vaudrait mieux dire ces mots-là dans son cabinet qu’à table. »