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mais Canalès l’attendait sur la route de Camargo, et ses soldats, cachés dans un chuparal, criblèrent de coups de fusil l’armée de Carvajal à son passage. Le capitaine Nuñez, qui commandait les Mexicains de Carvajal, s’écria : « Nous sommes trahis! sauve qui peut! » On prétend que c’est lui qui trahissait. Quatre-vingts de ses Mexicains se sauvèrent; les Américains de la bande s’engagèrent dans le chaparal, et la fusillade dura jusqu’à la nuit sans faire grand mal. Carvajal, jugeant qu’il n’avait pas assez de troupes, se replia sur le Texas; Canalès, craignant d’être surpris pendant la nuit, se retira de l’autre côté du San-Juan, qui passe près de Camargo. Un espion avertit de cette retraite inattendue Carvajal, qui revint sur Camargo, voulant y entrer avant le jour. En même temps les habitans de Camargo annonçaient à Canalès que Carvajal s’était retiré dans le Texas, et Canalès, enhardi, marcha aussi vers Camargo, où les deux armées se trouvèrent en présence, fort étonnées de se rencontrer à force de s’éviter. La lutte fut sanglante cette fois. Carvajal, manquant de munitions, dut céder, et Canalès publia que sa retraite de la veille avait été un mouvement stratégique. Ainsi se termina la guerre.

Les prisonniers que le parti d’Avalos avait faits ne furent pas considérés comme prisonniers de guerre, mais comme traîtres et assassins; en conséquence ils furent jugés au bout de quelques mois et condamnés à être fusillés. L’exécution devait avoir lieu trois jours après la condamnation. Je fus chargé de préparer ces malheureux à la mort. Ils étaient gardés dans une chambre de la caserne des lanciers convertie en chapelle, et je n’y entrai point sans une vive émotion. A la vue de mon costume de prêtre français, ils se jetèrent dans mes bras avec de poignantes démonstrations de douleur et de reconnaissance. Un jeune Irlandais de vingt-deux ans se suspendait à mon cou en pleurant, en criant : « Ma mère, ma sœur, je ne vous verrai plus ! » Catholiques et protestans me serraient les mains. Leur désespoir me fendait le cœur; au lieu de les consoler, je me mis à pleurer avec eux. Ce ne fut qu’après de violens efforts que je parvins à me dominer, et que je pus les exhorter à mettre en règle leur conscience avant de paraître devant le juge éternel. Les prisonniers américains étaient peu résignés; ils s’écriaient que le jugement s’était fait cruellement attendre, et qu’il était injuste. Je leur rappelai les incendies et les meurtres qu’ils avaient commis dans une ville innocente, sans autre but que le pillage, et les engageai à invoquer la miséricorde divine. Je leur donnai des livres de piété, et promis de demander pour eux un adoucissement de la peine, en leur recommandant de ne pas concevoir de trompeuses espérances. Ils me dirent qu’ils avaient plusieurs fois écrit à leur consul, mais qu’ils n’avaient