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Le soir même, Carvajal me fit appeler pour me prier d’aller visiter à Matamoros, dans un endroit caché, des blessés de son armée qui ne pouvaient être transportés à Brownsville, soit que leurs blessures fussent trop graves, soit qu’ils fussent des déserteurs de l’armée des États-Unis. Le lendemain, je partis à pied, pour plus de précaution, avec un guide mexicain qu’il me donna. Arrivé à la rue du Commerce, j’entendis une forte détonation, un sifflement aigu; une maison de briques s’écroula. Mon guide tomba, un boulet lui avait emporté le ventre et la cuisse. Je portai mon malheureux guide dans une rue voisine, je frappai aux maisons pour trouver quelqu’un qui le soignât; tous ceux qui ne se battaient pas avaient fui à Brownsville. Je ne savais plus que faire, ignorant l’endroit où on avait recueilli les blessés de l’armée de Carvajal. Heureusement un officier américain qui passait me l’indiqua. Je trouvai une méchante cabane où gisaient six hommes mortellement blessés. Un docteur irlandais les soignait. Je le priai d’aller voir mon pauvre guide, et j’exhortai les blessés, dont cinq moururent quelques minutes après.

En retournant au fort Paredes, je rencontrai cent cavaliers de Carvajal qui allaient se battre, près du cimetière, contre cent lanciers d’Avalos. Les deux partis se rencontrèrent, s’examinèrent, et chacun retourna chez soi, tout fier de ce que l’autre n’avait pas osé l’attaquer.

Le siège dura douze jours; outre la fusillade, le seul événement fut l’incendie de plusieurs maisons, dont on accusa les Américains. Carvajal se retira sur la nouvelle que Canalès venait au secours de Matamoros à la tête d’un millier d’hommes. Canalès avait été chef de bande dans la guerre de 1846 et 1847; on l’accusait d’avoir tantôt combattu, tantôt imité les guerilleros, en pillant avec impartialité, à la tête de voleurs et d’assassins, les convois mexicains et les convois américains. Il avait, dit-on, une fille qui maniait vaillamment la lance et qui commanda quelques expéditions. Lors du traité de Guadalupe-Hidalgo, la tête de Canalès fut mise à prix par le gouvernement mexicain, mais il parvint à se justifier et même à se faire mettre dans le cadre des généraux mexicains en activité de service. Il détestait à la fois, pour des raisons personnelles, Carvajal et Avalos; il aurait voulu trouver Avalos en fuite et mettre en fuite Carvajal. Aussi était-il venu fort doucement pour laisser à Avalos le temps d’être battu; le trouvant victorieux, il fut de fort mauvaise humeur.

Le gouvernement mexicain gratifia la ville de Matamoros du titre de « ville héroïque. » Les habitans de Brownsville vinrent en foule contempler les désastres de la guerre et de l’incendie. Carvajal s’était retiré à Rio-Grande-City. Il voulut rentrer dans le Mexique,