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cette ville. Le général Avalos fut blessé et transporté dans sa maison; quelques combattans et quelques curieux furent tués. À ce moment, la panique était si grande, que Carvajal n’aurait eu qu’à pousser un peu ses soldats pour se rendre maître de la ville; mais ceux-ci, au lieu de s’avancer vers la Plaza-Mayor, centre de la défense, prirent le parti plus prudent de se cacher dans les maisons et de cheminer lentement en pratiquant des ouvertures dans les murs intérieurs. Les assiégés, se rassurant, braquèrent leurs canons sur les maisons où étaient les assiégeans, et les forcèrent de déguerpir. A la nuit, Carvajal ordonna à ses troupes de rentrer au fort Paredes. Ce fut une lourde faute. Les assiégés se hâtèrent d’établir de hautes barricades avec des balles de manta et de couvrir leurs toits de sacs de terre derrière lesquels les soldats d’Avalos s’abritèrent pour tirer soit dans les rues, soit dans les cours, quand Carvajal essaya de rentrer.

J’avais passé la nuit à donner les secours de la religion aux blessés de l’armée de Carvajal, qu’on transportait du côté de Brownsville dans un hôpital provisoire. Quand le jour parut, pensant qu’il y avait à Matamores beaucoup de blessés des deux partis, et que le curé mexicain ne pourrait suffire à la tâche, je traversai le Rio-Grande, je m’emparai d’un mauvais cheval abandonné près de la cabane déserte des douaniers, et le mis au galop, espérant par une allure rapide échapper plus aisément aux balles des assiégeans et des assiégés, car je devais passer entre les deux feux. Je pénétrai sans mésaventure dans la grande rue qui conduit à la place, mais je trouvai en face de moi une forte barricade, et des coups de fusil retentirent de toutes parts sans que je visse personne; cependant, grâce à la maladresse des tireurs, j’arrivai sans être atteint à vingt pas de la barricade. Là, trente fusils me couchèrent en joue; je tirai brusquement la bride de mon cheval, et deux violens coups d’éperon le firent se cabrer. Un feu de peloton retentit; je ne fus pas blessé, mais le pauvre animal qui me servait de bouclier avait reçu trois balles, et il tomba. Avant que les fusils fussent rechargés, je courus à la barricade, le capitaine qui la commandait me reconnut et fut très mortifié. « Pourquoi diable venir sans drapeau blanc? — J’ignorais qu’on en eût besoin quand on est seul et sans armes. Je viens confesser les mourans. Où est le curé? — Vous ne pouvez le voir. On se bat dans sa rue. — Où est l’hôpital? — Ici près. » J’y courus, mais je fus bien étonné en n’y trouvant que quatre blessés. On s’était battu pendant vingt-quatre heures, on avait tiré plusieurs centaines de coups de canon et brûlé plus de vingt mille cartouches : le résultat était quelques morts et quelques blessés. Dieu merci, les maisons avaient plus de mal que les hommes. Jugeant ma présence peu nécessaire, je retournai à Brownsville, où l’on me croyait mort.