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entourée d’un respect superstitieux. J’essayai de diminuer son crédit sur ces faibles imaginations en expliquant aux rancheros, dans des conversations familières, les moyens dont elle se servait, mais je réussissais mal. Le plus simple était de leur donner le conseil d’éviter la rencontre des soi-disant sorciers, de n’avoir aucun rapport avec eux, et de vivre en bons chrétiens, leur rappelant cette parole de l’Écriture : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » Je sommai en même temps la sorcière de changer de métier, la menaçant, si elle se permettait de faire du mal, de provoquer une enquête et d’avertir les juges de Brownsville.

Il circule aussi dans les campagnes de cette partie du Texas des traditions ou des récits sur des secrets d’histoire naturelle. On apprend des choses qui étonnent, mais qu’il serait aussi déraisonnable de nier sans preuve que d’admettre sans examen. Un jour je me rendais, sous la conduite d’un peon (espèce d’esclave blanc), dans un rancho où mourait une pauvre femme. Ces peones sont presque tous réduits à l’esclavage par la misère, la paresse ou le jeu. Leur servitude n’est pas héréditaire, elle est même rarement viagère. Le peon s’engage pour un certain nombre d’années, pendant lesquelles il doit travailler à la terre, soigner les bestiaux, faire les commissions. De son côté, le maître doit subvenir à ses besoins, quelquefois même il lui donne un petit salaire. Dans les pays que j’habitais, la condition de l’esclave blanc n’est pas malheureuse ; elle est très différente de celle des nègres. En général, il mange avec son maître et porte des vêtemens presque semblables : il est difficile au premier abord de distinguer l’un de l’autre. Il jouit d’une grande liberté, et son travail est modéré, quelquefois nul. C’est le jeu particulièrement qui multiplie les peones. Cette passion atteint dans ces pays une fureur inouie ; quand on a perdu tout ce qu’on possède, même sa chemise, on joue sa liberté pour cinq, dix ans, ou plus, quelquefois pour toute sa vie. Je vis deux Mexicains jouant aux cartes sur le sable ; l’un avait perdu jusqu’à sa chemise, que l’autre tenait roulée entre ses jambes, et il se dépouillait de son caleçon pour le jouer. Je n’attendis pas la fin, mais peut-être dix minutes après y avait-il un peone de plus.

Celui qui me conduisait était d’humeur poétique et conteuse. Il chanta longtemps des complaintes amoureuses de sa composition. Nous arrivâmes sur les bords d’une grande ressaca, d’une eau limpide et transparente. Elle formait un ovale régulier que bordaient, comme un cadre, des palmiers, des ébéniers, des chênes-verts et dés sycomores ; des lianes les unissaient entre eux par de gracieuses guirlandes. Un talus couvert de verdure, de fougères et de fleurs descendait du pied des arbres jusque dans l’eau, où se baignait une multitude d’oiseaux aquatiques. Au loin, on voyait des cerfs et des