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de laine; cet autel était creux et tout rempli de serpens à sonnettes, de congos et autres reptiles venimeux qui en sortaient pendant la danse. Les vaudoux se déshabillent sans doute dans un vestiaire du rez-de-chaussée, car ils sont complètement nus lorsqu’ils entrent par la porte située à gauche de l’autel. Alors ils se mettent en rond en se prenant par la main; un nègre se place au milieu du cercle, fait brûler sur une cassolette une matière qui répand dans l’appartement une fumée épaisse et blanche, se baisse vers le plancher, probablement pour tracer des signes cabalistiques, prend sur l’autel cinq serpens à sonnettes, et s’en entoure les membres et le cou. La ronde se met aussitôt en mouvement, et toute la compagnie, le nègre compris, tourne et gambade pendant un temps considérable. Enfin on éteint les lumières, et le bruit cesse quand arrive l’obscurité. Cette secte inspire une telle frayeur aux gens de couleur et aux nègres qui n’en font pas partie, qu’il est impossible de les décider à prendre des informations personnelles sur ces pratiques mystérieuses. Ce qu’ils en disent est si extraordinaire, qu’on ne peut y ajouter foi. J’ai rencontré plusieurs fois à la Nouvelle-Orléans, dans les rues éloignées du faubourg Trémé, des boîtes de fer-blanc pleines d’huile où se trouvait une pierre carrée dont la grosseur variait avec les boîtes. Elles étaient placées sur le seuil de quelques maisons. Je ne pus de longtemps trouver quelqu’un qui m’expliquât ce que ces boîtes faisaient là; ce n’est que pendant ma dernière année de séjour au Texas que j’appris que c’était un spécifique contre les maléfices des vaudoux. Du reste, dans le Texas, les vaudoux sont peu nombreux, et leur secte y reste à peu près inaperçue, à moins qu’un fait singulier, comme la folie momentanée de l’Européen de Matamoros, ne vienne tout à coup d’une façon sinistre en rappeler l’existence.

Ce qui me frappa le plus, c’était l’indifférence de la police, qui est la même dans tous les pays où se trouvent des vaudoux. Ce ne peut être ignorance, ce que j’ai raconté n’est pas si secret que la police puisse n’en rien savoir. Pourquoi tolère-t-elle ces orgies, ces actes arbitraires et cruels? Serait-ce qu’elle a peur des vaudoux? Son apathie est la même à l’égard d’une autre espèce de gens qui pullulent dans les ranchos des frontières texiennes et mexicaines, je veux dire les sorcières. Il ne se passait pas de semaine où de pauvres gens ne se plaignissent de mauvais sorts jetés sur eux, sur leurs terres et leurs bestiaux. La sorcière la plus célèbre et la plus redoutée parmi les rancheros habitait le Ramireno, à une lieue de Brownsville. Sachant les passes magnétiques et connaissant les propriétés des plantes, elle surprenait les colons par ses prestiges et ses guérisons, ou les épouvantait par des artifices nuisibles. Elle était