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devant nos yeux une perspective d’une immense étendue. A l’est, les plaines sans bornes du Texas se perdaient dans les vapeurs de l’horizon; à l’ouest se dressaient les montagnes bleues de la Sierra-Madre, leurs masses énormes et leurs cimes fantastiques; au nord, les collines sur lesquelles nous cheminions se perdaient dans un demi-cercle de pics lointains; de toutes parts, nos regards se plongeaient dans un océan de lumière. Dans un rancho voisin de Roma, j’eus l’occasion de célébrer un mariage. L’épousée devait partir le jour même pour l’habitation de son mari, qui demeurait à une distance de plus de cinquante milles. Pendant la cérémonie, la mère et les parens se mirent à pleurer; les filles d’honneur et leurs amies se mirent bientôt également de la partie, et la mariée s’évanouit enfin, ainsi que sa mère. De ma vie je n’avais vu pareille désolation. Les Mexicaines ont les larmes faciles. Quand la mort visite une cabane, toutes les femmes des environs viennent gémir autour du cadavre et s’arracher les cheveux en poussant des cris aigus. Dans tous les temps, chez tous les peuples primitifs ou peu cultivés, on retrouve ces bruyantes manifestations de la douleur.

L’Alamo est un petit village américain de date récente, qui tire son nom de la rivière mexicaine la plus voisine. Il est très bien situé, et le séjour en doit être agréable. D’un côté, le Rio-Grande arrose les jardins; de l’autre, de gigantesques sycomores, entrelaçant leurs branches, forment au-dessus des maisons un vaste dôme de feuillage qui les protège paternellement contre les ardeurs du soleil. Nous traversâmes le Rio-Grande, et à la chute du jour nous étions à Mier. Mier ne le cède pas à l’Alamo; c’est une petite ville blanche, gracieusement assise sur des masses de rochers, et qui découpe sur l’azur du ciel la silhouette de son église, de ses palmiers et de ses aloès. Elle a gardé sa physionomie mexicaine; on voit que la race anglo-saxonne n’a point passé là. Nous eûmes peine à arriver jusqu’au centre ou plutôt au sommet de la ville; il nous fallait monter des escaliers creusés dans le roc, et nos chevaux ne se tirèrent pas sans quelques risques d’une pareille escalade. Le curé nous fit le meilleur accueil, nous offrit tout de suite la cigarette, le chocolat et les gâteaux obligés, et me donna même un de ces colliers de perles que portent les prêtres au Mexique. Il voulait aussi me faire présent d’un cerf et d’un petit âne. On pense bien que je refusai. Ce refus étonna beaucoup le curé. Je lui expliquai la peine que j’aurais à franchir une distance de plus de trois cents milles, menant à la fois un cheval, un petit âne et un cerf; je lui représentai tous les dangers que courraient ces chers animaux, s’il m’arrivait quelque aventure. La crainte que son cerf et son petit âne n’éprouvassent quelques souffrances par les chemins décida le bon curé à ne pas