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« Le maréchal de Duras, premier gentilhomme de la chambre et chargé du département de la Comédie-Française, reçut, il y a quelques jours, visite d’une demoiselle qui voulait débuter : « Eh bien ! mademoiselle, lui dit-il, de quels rôles voulez-vous vous charger? — Monsieur, cela m’est égal; je sais déclamer des vers comiques, tragiques, tout comme on veut. — Et qui est-ce qui vous a appris à déclamer? — Ah! monsieur, c’est un abbé qui prenait intérêt à moi. Je puis dire qu’il y a mis un soin extrême, mais cependant ce n’est pas lui qui m’a été le plus utile. — Et qui donc, mademoiselle? — Un grand-vicaire, monsieur, avec qui j’ai passé quelque temps, et qui, je puis le dire, m’aimait véritablement, et a contribué beaucoup à former mon talent. — Parbleu ! dit le maréchal, cela monte par grades. Est-ce tout, mademoiselle? — Ah! monsieur, répondit-elle, celui qui s’intéresse le plus sincèrement à moi et me donne encore des leçons, c’est un évêque, qui me recommandera, si vous le désirez. » Les noms de cette histoire, vraie à la lettre, sont l’abbé Delille, l’abbé d’Espagnac et le coadjuteur d’Orléans, M. de Jorente, frère de Mme de La Regnière. — Cela peut s’appeler, je crois, une histoire française...

« Les agiotages de l’abbé d’Espagnac et la fortune rapide qu’il y faisait faire à tous ses amis, au nombre desquels on comptait M. Le duc d’Orléans, ont fort occupé le public. Il paraît que le roi a marqué du mécontentement de ce qu’un abbé se permettait un semblable métier. L’abbé a été tancé par son chapitre, et tout cela pour n’avoir pu résister au désir de publier son intelligence. S’il eût gardé le silence, sa gloire eût été moins grande et sa fortune plus considérable. A tout prendre, l’argent vaut mieux que ce genre de gloire. Le contrôleur-général sous le ministère duquel on peut faire une fortune immense de cette manière est apparemment du nombre de ceux qui ne se fâchent pas de ce qu’ils aperçoivent, mais de ce qu’ils sont forcés de voir.

« M. Le premier président avait pris, il y a cinq ou six ans, 20,000 livres de rentes viagères dans un emprunt. Il avait fait un billet de 200,000 francs de capital, et depuis ce temps il croyait apparemment qu’un billet suffisait, et ne payait point la somme qu’il devait. Cela alla bien tant qu’il fit passer au parlement tous les édits des contrôleurs-généraux; mais, depuis qu’il s’est avisé d’être contraire à M. de Calonne, le billet a été retrouvé, et M. de Calonne l’a porté au roi. Le roi est entré dans une grande colère, et pendant un moment l’on a cru que M. Le président perdrait sa place. Cependant le crédit de M. d’Ormesson la lui a fait conserver.

« M. Foulon reste toujours exilé pour un mémoire qu’il avait fourni au premier président sur l’affaire des monnaies. C’était de lui que le ministre de Créqui disait : «Prenez garde, messieurs, cet homme-là fait tout ce qu’il peut pour se faire passer pour un fripon; mais je vous en avertis, ce n’est qu’une bête. »

« Le cardinal de Rohan passe sa vie tristement dans son abbaye d’Auvergne. Le ministre de Créqui, faisant allusion aux prétentions de cette maison, a dit : « Les Rohan rentrent dans l’ordre de la noblesse, ils se déshonorent. » La belle Mme de Brionne, qui supporte toutes ces infortunes, devrait intéresser; mais elle a tellement dans la société des discours et des