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macsous une galerie de planches et de lianes que j’avais établie contre le bâtiment de la cure, Isidore, vieux soldat mexicain que j’employais à toute sorte de services, tour à tour domestique, sacristain ou cuisinier, vint s’asseoir près de mon hamac, et, tout en poussant nonchalamment dans les airs la fumée de sa cigarette, il se mit à faire tout haut, sans s’inquiéter si je dormais ou non, un monologue sur les magnificences de la terre et du ciel. Il décrivait la douceur de la température, la pureté de l’atmosphère, la splendeur pâle des étoiles, le silence de la plaine doucement éclairée, les grandes ombres des palmiers et leurs grandes feuilles qui semblent la nuit porter des fruits de feu. Il adressa la parole à la veuve (oiseau de paradis) dont on entendait le cri plaintif, et qu’on voyait voltiger; il lui demanda où elle allait, et pourquoi, pauvre oiseau, elle ne dormait pas sous l’ombre épaisse des ébéniers. « Mystère de Dieu ! » ajouta-t-il, et il s’enfonça dans une silencieuse rêverie.

Le far-niente et l’apathie, voilà ce qui reste chez les populations que soumit jadis Fernand Cortez. J’eus l’honneur de bénir le mariage de la dernière descendante de la royale famille de Montézuma, qui épousait un riche propriétaire de l’état de Cohahuila. Elle avait vingt-quatre ans; ses traits étaient fort beaux, très réguliers, nobles et doux; sa démarche était aisée et un peu nonchalante; l’antique gloire de sa race paraissait dans toute sa personne. Je l’interrogeai sur sa position, elle me dit qu’elle était orpheline, sans parens au degré même le plus éloigné, et qu’elle n’avait eu pour tous biens que des terres dans le Texas. Ces terres étaient vastes, il est vrai, mais, depuis l’annexion du Texas aux États-Unis, ses droits de propriété avaient été diversement contestés et attaqués; on lui avait offert d’acheter ses titres pour 6,000 piastres, et, comme elle craignait d’être dépouillée entièrement, elle avait accepté cette faible somme. Elle faisait un mariage d’amour. Telle est la simple histoire de l’héritière d’un grand nom, du dernier rejeton de ce puissant monarque dont les immenses trésors avaient tenté la cupidité cruelle des conquérans espagnols et inondé l’Europe. Elle alla avec son mari continuer dans l’obscurité son existence ignorée, mais sans doute paisible et heureuse.


II.

Un mois après mon arrivée à Brownsville, comme je commençais à parler convenablement l’espagnol, j’entrepris un voyage de reconnaissance parmi les populations disséminées sur les deux rives du fleuve. Je devais pousser vers le nord jusqu’à un petit établissement nommé Alamo. De Brownsville jusqu’à ce point, il y a plus de