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les balcons en robes de mousseline claire, la Plaza-Mayor se peuple de promeneurs qui flânent, causent, rient et fument jusqu’à minuit. Tout s’anime, tout retentit d’éclats de rire ou de paroles joyeuses; le riche sur son balcon, le pauvre sur le seuil de sa cabane sont également heureux de vivre et de secouer le repos du jour. Les conversations roulent généralement sur la poésie, la religion même, sur l’amour, les chevaux, la musique et la danse; la médisance et la politique n’occupent guère ce peuple voluptueux, favorisé du climat le plus doux et de la nature la plus riche du monde.

Sur les deux rives du Rio-Grande, les Mexicains qui n’habitent pas les villes et qui ne sont pas marchands sont des rancheros; on appelle rancho soit une ferme, soit un assemblage de fermes. Les Mexicains des campagnes égalent en indolence les Mexicains des villes. Je n’ai jamais su comment pouvait vivre un ranchero. Il n’use du travail qu’avec une extrême réserve; un rien l’accable, il ne comprend l’activité qu’en vue du plaisir. Du reste, il est très frugal; sous ce ciel doux et tiède, on peut coucher où l’on veut, en plein air, à l’ombre d’un figuier ou d’un mesquite, plus agréablement que sous un toit. Il se nourrit de café, de chocolat, de tortillas, petits pains plats faits de farine de maïs et cuits sur la cendre ou sur des pierres chaudes, et de tassajo, viande de bœuf séchée au soleil et coupée en lanières, qui se conserve longtemps. Les riches rancheros se permettent le riz, les épices, la viande d’agneau cuite avec des raisins secs, quelquefois même le tamales, mets favori des Mexicains, mélange de viande, de légumes, d’épices et de fruits secs, qui est roulé en forme de cigare et cuit dans une feuille de maïs. Quand le ranchero ne se repose pas ou ne joue pas, il monte à cheval et court dans les plaines et les bois pour surveiller ses troupeaux, visiter ses amis, acheter des provisions, pour se rendre à une fête, à un baptême, à un mariage, où il dansera le fandango. Le cheval est son compagnon et son orgueil. S’il se contente d’une méchante cabane pour lui, il couvre d’ornemens d’argent la selle et la bride de sa monture. S’il est malpropre chez lui, il se pare, dès qu’il monte à cheval, de ses plus beaux habits. Alors il met son chapeau à larges bords doublé de vert, garni d’une ganse d’argent; alors il met une chemise blanche et brodée et son pantalon de velours bleu aux larges bandes de velours noir, dont les ouvertures laissent paraître un large caleçon blanc; il ceint son écharpe de crêpe de Chine rouge ou bleue, et il attache à ses pieds d’énormes éperons d’argent.

Ce qui caractérise le Mexicain des campagnes, c’est une extrême mansuétude, une insouciance poussée jusqu’à la débonnaireté. On remarque aussi chez lui un sentiment assez vif des beautés de la nature. Par une belle nuit d’été, comme j’étais couché dans mon ha-