Les questions de propriété étaient à Brownsville une source féconde de disputes et de procès. Au Texas, surtout vers les frontières, quand on veut acquérir un terrain, le parti le plus court et le plus simple, sinon le plus légitime, est d’en choisir un à sa guise et de s’y installer. Les Américains du Kentucky et de l’est des États-Unis qui viennent au Texas ne connaissent pas d’autre façon de devenir propriétaires. Au besoin, le pistolet, le bowie-knife (couteau) et la carabine feront valoir leurs droits. Il faut avouer du reste que rien ne serait plus difficile que de se procurer des titres dont la valeur ne fût pas contestable. Ceux dont l’origine est espagnole sont les meilleurs, mais ils ne sont guère respectés. Après l’annexion du Texas aux États-Unis, des spéculateurs réunirent des titres espagnols, pour vendre, soit aux États-Unis, soit même en Europe, d’immenses terrains qu’ils n’avaient pas même vus, et qui étaient depuis longtemps occupés. De plus, le gouvernement américain distribua trois cent vingt acres de terre aux arrivans et six cent quarante aux maîtres d’école, ministres et colons mariés établis au Texas avant 1847. Après la guerre contre le Mexique, il fit une nouvelle distribution de terres aux volontaires et aux soldats; mais, comme les registres de l’état civil avaient toujours été fort mal tenus, il arriva que, parmi ces terres distribuées et considérées comme vagues, un grand nombre avaient de légitimes possesseurs, d’autres étaient situées en des endroits inhabitables. Alors les nouveau-venus se répandirent dans tout le pays, s’établissant où bon leur semblait.
Quand on voit la façon dont les juges texiens sont élus, on ne s’étonne pas que l’équité ne soit pas considérée par eux comme un devoir. Vers la fin de mon séjour, un grand procès éclata : il ne s’agissait de rien moins que de savoir à qui appartenait le terrain sur lequel la ville est bâtie. Ce procès devait venir au tribunal après l’élection des nouveaux juges. La validité des titres était une question secondaire dans une affaire si importante ; tout dépendait du nombre d’hommes déclarés pour ou contre l’une des deux parties qui seraient élus juges; aussi de part et d’autre tous les moyens furent employés. On dressa des tables dans les rues, on les couvrit de bouteilles de whiskey, on en servait un verre à quiconque voulait prendre un bulletin portant les noms de tel ou tel candidat. Ceux qui n’avaient pas leur opinion faite prenaient des billets et buvaient dans les deux camps. Les deux partis adoptèrent chacun une couleur, l’un le rouge, l’autre le bleu: tout le monde portait au chapeau ou à la boutonnière un ruban bleu ou rouge; on en attachait à la crinière des chevaux et à la queue des chiens, on en distribuait même à ceux qui venaient du Mexique pour leur commerce, et qui se souciaient aussi peu des uns que des autres. On alla jusqu’à faire venir une immense