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quable et de manières distinguées. Quoiqu’épiscopalien, il se lia avec moi d’une amitié qui ne s’est jamais démentie. A peine arrivé à Brownsville, il me ménagea par de chaudes recommandations un excellent accueil dans la société aisée de la ville, et les premières difficultés du séjour se trouvèrent aplanies.

Pendant la guerre de l’indépendance, le colonel américain Brown construisit un fort en face de Matamoros, ville mexicaine; il fut tué et enterré dans ce fort, qui portait son nom. Autour de ce formidable tombeau s’établirent des marchands français et américains, et Brownsville fut fondée. Quand j’arrivai, la ville comptait à peine quatre années d’existence, et déjà sa population était de cinq ou six mille âmes. La position de Brownsville est excellente pour le commerce de transit; placée sur la limite du Texas, elle expédie les marchandises pour toutes les villes mexicaines de l’est et du nord. Elle est située vers le 97e degré de longitude ouest, et vers le 25e degré de latitude nord, à trente-cinq milles environ du golfe du Mexique. Les eaux jaunâtres du Rio-Grande baignent les jardins de la ville. Le sol est formé d’un sable fin et blanc, qui, par le vent du nord, s’élève en tourbillons si épais, que l’atmosphère devient obscure, et la circulation dans les rues impraticable. En revanche, la pluie, qui dans ces régions fait tomber brusquement d’énormes masses d’eau, change en quelques instans les rues en rivières où se plongent vaillamment les pieds des passans, des chevaux et du bétail. Aux environs, la terre est fertile et la végétation d’une richesse tropicale. On ne trouve ni pacaniers ni sapins, les chênes même sont rares, mais partout le dattier, le palmier-éventail, l’ébénier, l’aloès, les fougères colossales, les cactus de toute sorte; dans les bois, des lianes, des plantes odorantes, mille fleurs aux couleurs brillantes, aux formes singulières, aux parfums enivrans, et au-dessus de cette magnifique fécondité un ciel éternellement pur, un soleil éternellement éclatant.

L’église de Brownsville s’élevait en face du fort Brown, au milieu d’un vaste terrain inculte et sans clôture. Elle était en planches et formait un carré long capable de contenir deux ou trois cents personnes; le clocher ressemblait à une cage. L’irrégularité de l’ensemble était dissimulée à l’intérieur par des tapisseries de coton que je fis peindre par la suite. La cure faisait corps avec l’église; c’était un carré divisé en quatre petites chambres, dont une servait de sacristie. Je n’y trouvai pas trace de meubles et fus forcé, la première nuit, de coucher sur le plancher. Le lendemain, un jeune officier de la garnison me donna un pliant, des draps, une couverture et des chaises, et m’offrit sa table et sa bourse. J’avais grand besoin de ses bons offices. Cet officier s’appelait M. Garresché, il était d’origine française et excellent catholique.