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nationaux respectifs, la France a son escadre à Toulon, l’Angleterre a ses vaisseaux à Malte, et, dans cette attitude, les deux puissances peuvent attendre que d’autres conseils aient prévalu dans l’esprit du gouvernement napolitain. De son côté, le roi de Naples ne paraît point devoir répondre au rappel des ministres de la France et de l’Angleterre par une mesure semblable. Ses représentans à Paris et à Londres, le marquis d’Autonini et le prince Carini, ne quittent point leur poste ; ils ne le quitteraient que s’ils recevaient leurs passeports, et on n’en est point là encore sans doute. Comme on le voit, c’est jusqu’ici une situation intermédiaire entre une rupture plus complète et le rétablissement toujours possible de relations plus régulières.

Maintenant quelle peut être l’issue d’une querelle ainsi engagée ? En considérant bien, peut-être ne serait-il point impossible de trouver les élémens d’une solution équitable. En définitive, lorsqu’elles ont conseillé ensemble une politique plus libérale, la France et l’Angleterre n’ont point eu évidemment la pensée de se substituer aux prérogatives souveraines du roi de Naples dans l’administration intérieure de ses états. Elles n’ont pu avoir cette pensée, parce que ce n’était point leur droit, parce que si une puissance pouvait dicter un système de gouvernement au royaume des Deux-Siciles, placé sous le régime absolu, elle pourrait exercer une pression du même genre sur d’autres pays régis par des institutions différentes. Ce serait la force prise pour arbitre des relations internationales. La France et l’Angleterre n’ont pu avoir qu’une pensée, c’est de préserver la paix générale, menacée par l’incandescence permanente de l’Italie, et en ceci elles exerçaient un droit. Sans doute le terrain des interventions morales est difficile et glissant. On peut rester en-deçà du but qu’on se proposait, ou se laisser entraîner au-delà des limites qu’on ne voulait pas franchir. Qui peut résoudre aujourd’hui cette question délicate et périlleuse ? La solution est dans les mains du roi de Naples. La pression étrangère n’est plus un prétexte à invoquer. La France et l’Angleterre sont absentes des Deux-Siciles. Leurs vaisseaux n’ont point paru encore dans les eaux italiennes et sont retenus au rivage. Le souverain napolitain reste donc seul, dans son indépendance. Pourquoi ne ferait-il pas spontanément ce qu’on lui a demandé ? Pourquoi ne promulguerait-il pas une amnistie et ne mettrait-il pas en liberté cet infortuné Poërio, qui subit le sort des malfaiteurs pour n’avoir point voulu demander une grâce ? Tout n’est point à faire sans doute dans l’administration napolitaine. Les finances sont assez prospères, la législation civile est une inspiration des lois françaises ; rien ne serait plus facile que de maintenir ce qui est bien et de réformer les parties défectueuses de l’organisation publique, d’assurer les garanties de la justice, de laisser circuler une certaine vie intellectuelle parmi les classes éclairées. On a dit qu’en dehors de la dernière circulaire du prince Gortchakof, véritable pièce d’apparat, il existait une dépêche russe qui pressait le gouvernement napolitain d’entrer dans la voie des améliorations. Si la dépêche n’existe pas, l’empereur Alexandre paraît du moins avoir conseillé cette politique au roi de Navles. Ce serait là en effet le meilleur dénoùment aujourd’hui, le seul qui fût conforme à tous les intérêts, parce qu’il préserverait l’Europe d’un danger sérieux, et qu’il créerait une situation meilleure pour le royaume de Naples lui-même. S’il n’en est point ainsi, le refroidissement survenu entre les deux puissances et le cabinet des Deux-Siciles deviendra inévitablement