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Louis XIV était un dernier survivant de la fronde, le maréchal de Luxembourg, qui, sous le nom de Montmorency-Bouteville, avait suivi le grand Condé dans toutes les épreuves de sa vie. A la même date, tous les écrivains auxquels se rattache l’honneur du grand siècle avaient, sinon cessé de vivre, du moins presque complètement cessé d’écrire. Le génie semblait avoir disparu avec les excitations et les souvenirs de la jeunesse chez ces hommes d’un caractère pourtant si calme et si fort.

Corneille n’était plus que l’ombre de lui-même au moment où s’ouvrit pour Racine la carrière de ses succès, qui ne dura guère que dix années, car elle commença avec Andromaque, donnée en 1667, et se termina à bien dire avec Phèdre, jouée en 1677. Tout le monde sait que Esther et Athalie, représentées à Saint-Cyr en 1689 et 1691, furent en quelque sorte arrachées aux répugnances de Racine, lassé de la poésie et presque de la gloire, et qui, dans la seconde période de sa vie, ne fut plus qu’un médiocre historiographe travaillant sur commande de Mme de Maintenon[1] et portant au fond de son cœur l’impression du regard sous lequel il devait mourir. Molière fournit sa carrière de 1660 à 1673, n’ayant guère connu et observé que les mœurs de la société façonnée par la régence et par Mazarin, à laquelle appartiennent visiblement les types de ses principales comédies. Le même espace embrasse la presque totalité des œuvres de Boileau, car si l’auteur des Satires et du Lutrin vécut encore de longues années dans la solitude d’Auteuil, son existence, toute de souvenirs et de regrets, était demeurée à peu près étrangère au monde nouveau formé sous l’influence personnelle de Louis XIV vieillissant et sous la forte discipline de son règne. On peut en dire autant de La Bruyère, qui publia en 1687 ses Caractères, tableaux animés des temps de sa jeunesse, dont Versailles dans sa monotonie solennelle et Marly dans son exclusivisme jaloux effaçaient chaque jour les saillies et les couleurs. La Fontaine, né en 1621, avait atteint la maturité de son âge et de son talent lors de la disgrâce du surintendant Fouquet, premier acte du gouvernement personnel de Louis XIV, qui valut au grand fabuliste l’honneur d’une indépendance que l’ère nouvelle ne devait pas voir se reproduire. Bossuet,

  1. « Mme de Maintenon, pour divertir ses petites filles et le roi, fit faire une comédie par Racine, que l’on a tiré de sa poésie, où il était inimitable, pour en faire, à son malheur et à celui de ceux qui ont le goût du théâtre, un historien très imitable. Elle ordonna au poète de faire une comédie, mais de choisir un sujet pieux, car à l’heure qu’il est, hors de la piété point de salut à la cour aussi bien que dans l’autre monde. Comme Racine est aussi bon acteur qu’auteur, il instruisit les petites filles. On fit un joli théâtre et des changemens. Tout cela composa un divertissement fort agréable pour les petites filles de Mme de Maintenon. » (Mme de La Fayette, Mémoires de la cour de France, année 1689.)