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renouvela donc en février 1783 la promesse qu’il avait paru près d’oublier : « Pour ce qui est de Staël, je tiendrai ma parole. S’il épouse Mme Necker, il sera mon ministre plénipotentiaire. »

Mais il s’agissait de savoir qui s’exécuterait le premier, de M. Necker ou du roi de Suède. Gustave entendait bien que son futur ambassadeur eût la dot. M. Necker, de son côté, ne voulait marier sa fille qu’à bon escient. Staël pensa qu’il ne perdrait rien, dans tous les cas, à presser la volonté royale, et, pour y parvenir le plus sûrement possible, il sut faire intervenir les deux puissans médiateurs qu’il avait réservés pour un dernier effort, Louis XVI et Marie-Antoinette. Au mois de mars 1783, le roi et la reine de France adressèrent au roi de Suède une demande commune et expresse pour que l’ambassade de Paris fût donnée à M. de Staël. Devant cette prière, Gustave ne résista plus, et la même année M. de Staël fut nommé successivement chargé d’affaires, ministre plénipotentiaire, enfin ambassadeur.

C’était à M. Necker à présent de couronner toutes les espérances; mais M. Necker n’était pas encore satisfait. « Mon mariage n’est pas encore décidé, écrit Staël (9 février 1784). J’ai beaucoup d’apparences pour moi, mais pas encore de certitude. Je supplie votre majesté de régler ma conduite. — 9 mai. Si votre majesté va à Genève (Gustave entreprenait alors un nouveau voyage sur le continent), M. Necker pourrait aller lui faire sa cour... Mon sort dépendra alors uniquement de votre majesté... » Quelles étaient donc les nouvelles faveurs que M. Necker demandait pour son futur gendre, ambassadeur à Paris à trente-quatre ans? — Une précieuse lettre de Mme de Boufflers (21 mai 1784) nous en instruit. Voici les conditions imposées à la couronne de Suède, si elle veut avoir la future Mme de Staël pour ambassadrice :


« 1° L’assurance de l’ambassade de Suède à Paris pour toujours;

« 2° Une pension de 25,000 francs en cas que, par des circonstances imprévues, M. de Staël perde son ambassade;

« 3° Le titre de comte, afin que Mlle Necker ne puisse être confondue avec une certaine baronne de Stal, assez mauvais sujet.

« 4° L’ordre de l’Étoile polaire pour M. de Staël;

« 5° La certitude que jamais l’ambassadeur n’emmènera sa femme en Suède que passagèrement et de son consentement;

« 6° La reine Marie-Antoinette devra témoigner qu’elle désire ce mariage. »


Ainsi Gustave III, bien que ses idées en politique ne fussent pas du tout semblables à celles que l’influence de M. et Mlle Necker ne manquerait sans doute pas d’inspirer à son ambassadeur, devait s’engager par les deux premiers articles à conserver celui-ci pour toujours, ou bien, s’il rompait sa parole, à payer un dédit. L’article 3 rappelle de trop près, à ce qu’il semble, cet évêque de Gil Blas qui