Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rare fortune d’un pouvoir auquel il fut donné de se servir pour sa gloire de tous les grands esprits fécondés par les agitations de la période antérieure, en même temps qu’il profita pour son omnipotence de l’extrême lassitude provoquée par ces agitations elles-mêmes. Si la fronde fut stérile dans ses résultats politiques, les vingt années qui s’étendirent de la mort de Louis XIII à celle du cardinal Mazarin peuvent être en effet comptées au nombre des périodes durant lesquelles l’esprit humain reçut l’impulsion la plus vive. Tandis que Descartes s’efforçait de scruter les abîmes de l’être et de la pensée, le jansénisme remuait audacieusement les plus formidables mystères de la conscience. L’âme dans l’intimité de ses opérations, la spontanéité de ses mouvemens et le secret de ses destinées, Dieu lui-même dans son essence devinrent l’objet incessant et presque exclusif de toutes les recherches, de toutes les disputes, et à bien dire des conversations les plus familières. Les écoles se transformèrent en partis, et chacun se groupa autour de doctrines souvent fort peu comprises sans nul doute, mais qui maintenaient toujours l’esprit humain dans ces régions élevées d’où se déroulent au loin les horizons éternels. Pendant que l’esprit de secte s’échauffait sous l’ardente parole des Arnauld et les traits amers de Pascal, et que la controverse obligée avec les protestans, alors admis à la plénitude de tous leurs droits civils, contraignait les docteurs catholiques à lutter avec leurs adversaires de savoir et de talent, l’église, sous la direction d’un glorieux épiscopat, était travaillée jusqu’au fond de ses entrailles par l’esprit des Vincent de Paul et des François de Sales, des Bérulle, des Condren et des Olier. Corneille apportait sur la scène agrandie d’héroïques inspirations, applaudies par la noble jeunesse qui venait de vaincre à Rocroy et s’apprêtait à vaincre à Fribourg. Racine et Molière grandissaient à l’ombre de sa gloire, observant de près cette société alors si pleine de vie, de passions et de contrastes, et leur esprit s’épanouissait sous la grandeur des problèmes posés dans les salons comme dans les écoles, et qu’agitaient chaque jour tant de puissantes voix.

Toutes les forces intellectuelles avaient un culte, des croyans, pour ne pas dire des sectaires; elles se voyaient honorées jusque dans leurs exubérances, mais ces exagérations passagères n’ôtaient rien à la durable fécondité des résultats, et si loin que fussent parfois de la vérité Port-Royal ou l’hôtel de Rambouillet, leur influence sur la société contemporaine n’en fut pas moins précieuse. La génération d’Anne d’Autriche vécut donc dans un respect universel de la pensée et du talent, respect qui donna lieu sans doute à des engouemens fort ridicules, mais dont l’effet ne fut pas moins d’ouvrir un large sillon dans le domaine de l’art et de la poésie. Voiture