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que : le fier monarque conçut la pensée de rendre à la mer et aux tempêtes cette terre où l’on osait discuter sa gloire, en l’inondant à la fois par ses armées et par les flots. On sait quelle fut la fin de la guerre de 1672, où la victoire même fut stérile malgré les hyperboles des poètes, et ne releva pas le monarque des torts qu’il s’était donnés contre les intérêts de la France et contre les intérêts plus permanens de la justice. Quoique la fortune demeurât longtemps encore fidèle à Louis XIV et qu’elle ne commençât à chanceler que dans la guerre du Palatinat, on peut dire que ce monarque ne se releva jamais de son agression contre une ancienne alliée, car cette agression compléta son isolement en Europe, et cet isolement ne lui fut pas moins funeste qu’à Napoléon. La tentative de 1672, toujours présente aux cabinets et aux peuples comme une menace et un odieux souvenir, fut le principe des inimitiés implacables qui empoisonnèrent la fin de sa carrière; elle fut l’origine au moins indirecte de la plupart des embarras qui suivirent, et préparèrent l’heure où l’Europe devait passer de la terreur à la haine, du découragement aux résolutions désespérées.

Durant cette prestigieuse période, Louis XIV ne triomphait pas moins par ses négociations que par ses armes, et la paix de Nimègue n’était qu’une victoire de plus. Ce traité d’ailleurs était du nombre de ceux qui ne sont au fond que des trêves imposées par les exigences du vainqueur à l’impuissance momentanée du vaincu. L’étendue même des concessions consenties à Nimègue par les deux branches de la maison d’Autriche avait donné au roi de France la mesure d’une faiblesse qui s’abrita vainement sous la foi des traités. En pleine paix, des chambres de réunion formées à Metz et à Brisach bouleversèrent de fond en comble le vieil empire germanique, et les arrêts de ses magistrats ne donnèrent pas à la France moins de villes que les victoires de ses armées. Pendant ce temps, l’Europe consternée regardait faire, n’opposant que de vaines protestations à ces abus de la force servie par la fortune. Ni l’Autriche, qui voyait les Turcs sous les murs de Vienne, ni l’Espagne, dont le père Nithard, confesseur de la reine, et don Juan d’Autriche, bâtard du roi, se disputaient à main armée la possession, ni l’Angleterre, enchaînée par son roi à une politique qu’elle détestait, ne pouvaient alors opposer d’obstacle à une puissance qui n’avait à redouter que l’enivrement du succès, et la lente, mais certaine accumulation de ses fautes.

Les hommes que Louis XIV trouva sous sa main lorsqu’il commença à gouverner par lui-même furent d’ailleurs les instrumens principaux d’une supériorité qui ne fut pas moins éclatante dans les lettres que dans les armes. C’est ici que l’on touche à la racine même de toutes les grandeurs de ce temps et qu’il faut constater la