Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gustave semble avoir voulu d’abord prendre un biais en promettant seulement d’adjoindre un ministre plénipotentiaire à l’ambassadeur. « Madame la comtesse de Boufflers, écrit-il dans une lettre sans date, mais qui doit se rapporter à cette époque, vous ne vous trompez pas quand vous croyez que j’ai de l’amitié pour le baron de Staël, et vous pouvez hardiment assurer M. Necker que, si l’ambassade que j’entretiens à la cour de France vient à vaquer, mon intention est d’entretenir à Paris un ministre plénipotentiaire en même temps que l’ambassadeur, pour remplir toutes les fonctions de ce dernier aussi souvent qu’il serait obligé de se rendre en Suède pour exercer les charges qu’il y conserve; ce ministre plénipotentiaire lui serait associé en tout, et je suis déterminé à donner cette place au baron de Staël. » Et c’est sans aucun doute à cette déclaration explicite, renouvelée encore peu de temps après, que le comte de Creutz et M. de Staël lui-même répondent lorsqu’ils écrivent tous les deux, avec le même ensemble, le 22 juillet 1782, pour remercier Gustave. On peut d’ailleurs calculer les progrès qu’avaient faits les espérances du jeune diplomate au dépit qu’il éprouva en février 1783, quand il apprit que, le comte de Creutz étant appelé, en récompense de ses longs services, au ministère des affaires étrangères à Stockholm, un autre que lui allait être nommé à Paris. Il faut lire l’expression de son désespoir et remarquer comment il ouvre en même temps une porte au roi de Suède pour revenir sur sa prétendue résolution. « La lettre de votre majesté à son ambassadeur m’a plongé dans la plus profonde tristesse. Les espérances que j’avais, celles que votre majesté m’avait permis de former, se sont évanouies comme une fumée. L’état où je me trouve est affreux, et je ne puis être sauvé du précipice, si votre majesté ne daigne révoquer l’arrêt qui fait mon malheur... Toutes les espérances pour mon mariage doivent nécessairement s’évanouir, car M. Necker ne donnera certainement pas sa fille à un homme qui semble avoir perdu à la fois la bienveillance et la confiance de son maître. S’il pouvait me rester une espérance depuis que votre majesté a pu se résoudre à faire taire cette bonté paternelle dont elle a si souvent daigné me combler, ce serait en suivant la conduite que votre majesté elle-même m’a autorisé à tenir quand elle me promit que je succéderais à M. Le comte de Creutz, si je pouvais obtenir que la cour de France me demandât. Je ferai mon possible pour qu’une démarche aussi importante en ma faveur soit faite; mais si, malgré cela, votre majesté persistait dans sa résolution, et que son cœur sensible, auquel j’en appelle encore, fût inflexible pour moi, alors je me retirerais dans quelque coin de la terre d’où elle n’entendrait plus ni mes prières ni mes plaintes importunes, et où je reprocherais au sort, en silence, de m’avoir