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les plus hardis qui aient traité les matières philosophiques, et pour apprécier la franchise de ses opinions, il faut se rappeler en quel temps, dans quel pays, en face de quelles passions il écrivait. Il est certain qu’il ne recule devant aucune des conclusions auxquelles l’amène la logique, quelque contraire qu’elle puisse être aux opinions reçues, et à quelque conséquence qu’elle doive conduire. Il n’hésite point à faire table rase de toutes les croyances du genre humain. Mais à quelle conclusion le ramènent invariablement toutes ses recherches? À cette conclusion uniforme : non pas que la vérité n’existe point, mais qu’elle n’est point démontrable, qu’il n’y a rien de démontrable pour notre esprit. C’est cette impossibilité d’arriver à une certitude quelconque qui a conduit Pascal et tant d’autres esprits ardens et enthousiastes à chercher dans une lumière extérieure et divine le point d’appui qu’ils ne pouvaient trouver dans la raison humaine, et leur a fait embrasser la révélation comme un refuge. Plus froid et plus conséquent, Hume n’est point sorti du scepticisme; mais il s’est demandé si l’impossibilité où il était de se rien démontrer à lui-même lui donnait le droit de détruire la certitude qui existait à tort ou à raison dans l’esprit d’autrui, et la réponse ne pouvait être que négative. Le scepticisme exclut toute propagande, et de là chez Hume ce respect des croyances d’autrui, cette tolérance pour toutes les opinions; de là la prudence de ses paroles et de sa conduite. Ce n’est pas en effet qu’il appréhendât rien pour lui-même : toute sa vie le montre au-dessus d’une pareille timidité et incapable de retrancher une seule ligne par crainte des tracas ou des périls que ses écrits pouvaient lui attirer; ce qu’il redoutait, c’étaient les conséquences que ses doctrines pouvaient avoir pour les autres. Sa véritable crainte était d’ébranler ou de détruire la conviction d’autrui; il ne voulait pas avoir charge d’âmes. Il devenait bien plus timide encore quand il s’agissait de proposer à lui-même ou aux autres une règle de conduite. On ne bâtit pas sur le sable, et il lui était impossible de trouver le moindre fondement à la morale. De quel droit s’écarter alors de la tradition perpétuelle du genre humain? comment ne pas respecter ce que toutes les générations ont respecté? comment ne pas se conformer à ce qu’un témoignage universel proclame être la loi de ce monde, à savoir la pratique du devoir et de la vertu? Et cet homme qui n’avait aucune des croyances du chrétien en eut toujours la vie et en montra toutes les vertus.

C’est cette pureté de la vie de Hume qui, aux yeux de tout juge équitable, doit l’absoudre des reproches souvent adressés à sa mémoire. Il est à regretter sans doute que cette belle et ferme intelligence n’ait pas mis au service de la vérité cette sagacité merveilleuse, cette netteté incomparable, cette dialectique serrée, cette