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trahison n’est pas plus avérée pour cette rencontre qu’elle ne l’est pour la partie de cartes. Ce qui est sûr, c’est que la victime était illustre. Tordenskiold, le tonnerre et le bouclier, tué de la sorte à trente ans, avait déjà, par son incroyable courage et son habileté militaire, assuré la victoire au Danemark dans ses guerres contre la Suède, et mérité de devenir, dans les souvenirs et les chants patriotiques des peuples du Nord, un de leurs plus populaires héros.

Ce n’était pas, comme on voit, faute d’avoir fait parler d’elle sur l’une et l’autre rive de la Baltique que la famille des Staël n’avait pas encore conquis ou fixé la fortune. En recommençant la lutte, M. de Staël, le futur époux de Mme Necker, avait résolu d’être heureux. — Né en 1749, dans la province d’Ostrogothie, au centre de la Suède méridionale, il s’engagea comme volontaire à treize ans; il était enseigne à dix-huit et lieutenant, puis capitaine à vingt-trois. Le titre de chambellan de la reine, en 1776, vint offrir à son ambition une favorable ouverture. Toutefois c’était à Versailles, et non pas à Stockholm, qu’un Suédois, sous Gustave III, pouvait espérer de mériter la faveur de son maître. A Versailles et à Paris, Gustave était toujours présent, soit par le souvenir et les regrets qu’il y avait laissés, soit par les intérêts mêmes de sa couronne. Une active coopération politique et militaire et l’ascendant de notre littérature pendant le XVIIe siècle, au XVIIIe l’alliance continuée par nos subsides et l’attrait devenu plus irrésistible encore de l’esprit français, telles étaient les causes qui avaient multiplié les relations entre les Suédois et nous. Louis XV, dans ses dernières années, avait accueilli les projets conçus par le jeune prince de Suède pour restituer au pouvoir royal une autorité que les états avaient usurpée. La cour de France avait secondé de tous ses efforts la révolution de 1772, et c’était encore sur elle que comptait Gustave, devenu roi, contre la Prusse et la Russie, jalouses de la sécurité rendue au pays dont elles convoitaient la conquête. Mêlant d’ailleurs aux affaires les plus nobles plaisirs, Gustave, d’un esprit ouvert et facile, s’était laissé promptement séduire à l’attrait de notre civilisation. Devant la royauté, alors toute puissante, de nos philosophes, la sienne s’inclinait, et l’hommage des salons parisiens, celui des gens de lettres et des femmes d’esprit qui y présidaient, étaient à ses yeux la plus désirable récompense et peut-être la véritable gloire.

Il est intéressant de parcourir, dans la collection des papiers de Gustave III conservés à Upsal, à côté des lettres de Louis XVI, de Marie-Antoinette, du comte de Provence et du comte d’Artois, les épîtres innombrables de Mme d’Egmont, de Mme de La Mark et de Mme de Boufflers. Ce sont les vraies confidentes et aussi les conseillères de Gustave III. La première, d’une âme généreuse et d’un grand