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de nature à les intéresser ou à être utiles à leurs études; ses lettres à Smith attestent l’intérêt tout spécial qu’il prenait aux travaux du jeune penseur qui, sous l’influence de ses écrits et de ses conseils, devait jeter les bases de la science économique.

Si agréable et si laborieuse que fût l’existence de Hume à Ninewells, elle ne l’empêchait point de songer à se créer une position. Il touchait en effet à sa trente-cinquième année, et il avait déjà une certaine réputation, sans avoir pu accroître un revenu que la plus stricte économie ne rendait pas suffisant. Deux fois il se mit sur les rangs pour obtenir une chaire dans une université, d’abord à Glasgow, puis à Edimbourg; deux fois ses efforts et ceux de ses amis furent rendus inutiles par les appréhensions et les scrupules du clergé presbytérien. Hume courait les chances d’une troisième candidature, lorsqu’il reçut une lettre d’un des plus riches pairs du royaume, le marquis d’Annandale, qui l’invitait à venir vivre avec lui en Angleterre. Ce jeune seigneur, dont la tête et la santé commençaient à se déranger, se piquait de littérature, et s’était pris de goût pour Hume à la lecture des Essais. Sa famille, désireuse de voir auprès de lui un homme de bon conseil, qui pût prendre quelque empire sur son esprit, fit de vives instances auprès de Hume pour qu’il acceptât l’offre du marquis, et lui assura une rémunération considérable; mais les désagrémens auxquels Hume se vit en butte lui firent bientôt regretter d’avoir échangé son humble indépendance contre les splendeurs d’une habitation seigneuriale, et il ne demeura guère plus d’une année auprès de lord Annandale. Il se préparait à retourner en Écosse, lorsqu’il rencontra à Londres un de ses compatriotes, le général Saint-Clair, qui allait prendre à Portsmouth le commandement d’une expédition destinée au Canada, et qui l’emmena comme secrétaire. Après une croisière infructueuse devant les côtes de Bretagne, l’escadre fut rappelée en Angleterre, et Hume était revenu à Ninewells quand le général Saint-Clair reçut une mission militaire près les cours de Vienne et de Tarin, et lui offrit de nouveau de l’accompagner avec un titre officiel. Malgré la nécessité d’endosser l’uniforme militaire, puisqu’il devait avoir le rang d’aide de camp, Hume accepta une offre qui lui fournissait une précieuse occasion de visiter une grande partie du continent, à savoir la Hollande, toute l’Allemagne et le nord de l’Italie. On a conservé, et M. Burton a publié dans son excellent ouvrage, le journal que Hume tint de son voyage, et qui était destiné à son frère. Il s’y montre assez peu sensible aux beautés de la nature et aux chefs-d’œuvre de l’art. En revanche il note soigneusement la nature du sol et ses produits, le degré d’avancement de la culture, la densité de la population, la condition sociale et les mœurs des habitans, la quotité des impôts. La tournure toute pratique de son esprit éclate donc